Retour à l'agenda

Témoignage #1

Météo intérieure, en ce vendredi 20 mars 2020

Je n’ai pas l’habitude de raconter ma vie urbi et orbi, et aucune envie d’écrire sur les réseaux sociaux où n’importe quel inconnu se permettra peut-être de critiquer, de se moquer, de tourner en dérision ce qu’il ne comprendrait pas.

Mais là, c’est différent, je me sens touchée par des témoignages entendus à la radio. Je pense à certains de mes proches qui ne comprennent pas que l’on puisse se sentir perdu alors « qu’en 14, il n’y avait pas le confort, plus d’hommes pour ramasser les foins, pas la télé », que « faire des réserves de papier toilette est incroyable puisque nous avons bien tous des journaux à disposition… »

Et je pense à ceux qui, bien conscients de la nécessité de rester confinés, se sentent tout de même un peu perdus, et parfois en éprouvent un sentiment de presque honte. Chacun a raison. C’est ainsi, des personnes sont sûres d’elles et d’autres, non. Pas grave.

Pour ma part, ça va un peu mieux, je commence à m’adapter à vivre cet isolement forcé, mais j’ai connu une immense sensation de vide. Le téléphone ne me suffit pas, j’ai besoin de contact  direct. Pas forcément de parler toute la journée à toutes sortes de gens, mais de voir, simplement de voir des personnes en chair et en os, de percevoir une mimique, un sourire, même s’ils ne me sont pas adressés. Je suis souvent en colère contre la pollution sonore et olfactive des voitures, mais là, le silence quasi absolu devenait angoissant.

Jusqu’à lundi 16 mars, mon agenda comportait au moins une activité, une rencontre, une sortie en dehors de la maison, et là, tout à coup, plus rien, le Vide. Je savais bien que non, ce n’était pas le vide, qu’il y avait des tas de choses en retard à faire, des tas de proches à appeler, mais je pense que le fait de plus maîtriser, de me sentir contrainte est arrivé trop brutalement, sans avoir le temps de m’y préparer. Et ce fut dur : mardi et mercredi, je me suis levée avec juste une envie de pleurer.

Les propos rappelés toute la journée par les ministres, les journalistes, la Raison, me faisaient bien comprendre la nécessité de rompre ce quotidien et m’expliquaient bien combien les personnels soignants, les commerçants alimentaires, les agents publics, la factrice, les personnes en télétravail, qui continuent à agir pour nous, pour moi, ont du mérite. Combien les autres actifs, devenus inactifs par la force des choses, se sentent impuissants et souvent inquiets. Bref, combien tous les autres ont plus de raison d’angoisser que moi ! Mais rien à faire, la gorge nouée, les sanglots montaient sans raison.

Et puis, curieusement, hier, jeudi 19, j’ai commencé, sans m’en rendre compte au début, à sentir le soleil opportunément revenu, à entendre le chant des oiseaux perchés sur les arbres alentour ;

A couper définitivement les chaînes d’infos en continu qui ne m’apprennent plus rien sur la conduite à tenir, mais rabâchent sur le malheur des plus atteints par ce coronavirus, tant et tant que j’aurais presque honte d’aller un peu mieux, de ne plus avoir envie de pleurer, de prendre plaisir à observer traverser un chat dans la rue sans crainte qu’il soit bousculé par une voiture…

Bien sûr, on ne se refait pas, j’ai bien un peu peur, tout au fond de moi, d’être en train de m’endormir, de devoir faire de nouveaux efforts pour retrouver ma vie d’avant dans quelques semaines, que le chat traversant devant ma fenêtre perde ses réflexes de prudence et continue à s’arrêter au milieu de la route sans raison lorsque les automobilistes auront repris leurs trajets….

Mais j’ai trouvé de nouveaux types d’occupation: je lis plus attentivement les revues que j’avais survolées, je fouille dans Estuaire.org et je découvre des articles intéressants que je n’avais pas eu le temps d’apercevoir, j’écoute la radio, les concerts gratuits que je ne pensais pas pour moi… mais plus toute la journée, car le bruit aussi, c’est fatiguant.

Françoise Lacroix

Je ne sais pas si ce témoignage, forcément très personnel, atteindra son but, mais je souhaite que ceux qui se sentent mal, sans être personnellement touchés par le virus, ni leurs proches, sachent qu’ils ne sont pas seuls et qu’il n’y a pas de honte à avoir ; que ceux qui se moquent d’eux ou les rabrouent, deviennent un peu plus tolérants ; et pour tous, que le temps fait encore une fois son œuvre, plus ou moins vite, mais qu’ « après la pluie, vient le beau temps », le dicton est bien fondé.

 

Ce qui va sans dire, va mieux en le disant !