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Témoignage #3

au fil des jours, un poème…
“vu de ma fenêtre”

par Arlette Gélabert

Dehors, le bruit des tronçonneuses,
Quelques coups de marteau, le voisin qui bricole,
Et le grand silence du monde
Privé de son vrombissement habituel.
Les oiseaux semblent heureux, ils gazouillent.
C’est le printemps qui murmure dans le feuillage
La vie est là, calfeutrée au cœur du paysage.
Dehors, le soleil éclaire d’une lumière blafarde
Ce monde moribond qui vit au ralenti,
Ces heures noires qui cafardent
Nos cœurs et nos esprits.
Dehors, un mot privé de sens.
L’horizon est borné par le mur de l’immeuble d’en face.
Les bruits et les parfums de l’espace
Se répercutent sur les cloisons de nos maisons
En cercle vicié comme l’air qu’on respire en prison.
Dehors, certains ont oublié ce mot
Que le vacarme des urgences a remplacé par d’autres.
Masque, pénurie, mort, peur, fatigue, colère,
La longue litanie de ceux qui nous protègent.
Dedans, les enfants trépignent,
Les parents s’indignent
Tandis que les soignants sont en première ligne
Face au monstre qui avale le monde.
Dehors, ma pensée vagabonde,
Dedans je respire chaque seconde
Comme si c’était la dernière.
Dehors, mes chats ignorent la peur des hommes.
Ils se promènent et chassent sans vergogne.
Nous avons tous croqué la pomme !
Nous mangeons les pépins de notre arrogance.
La nature souveraine nous rappelle notre ignorance.
Demain, quand tu sortiras, n’oublie pas !
Saint-Gildas des bois, le jeudi 19 mars 2020

De ma fenêtre
Ce matin, je n’ai vu que le grand soleil.
Il m’appelait, moi la paresseuse
Qui aie dormi jusqu’à plus d’heure, d’un lourd sommeil.
J’ai ouvert mes volets sur la nature silencieuse.
L’air était doux,
Le ciel serein.
Mes chats dormaient, rêvant à la nuit prochaine.
J’ai soupiré devant tant de bonheur.
Et puis je me suis souvenue.
L’heure était au chagrin,
Le monde devenu fou,
Par un virus soudain menacé de malheur.
J’ai soupiré, j’ai souri, j’ai ri, j’ai voulu
Que l’espoir revienne !
Confinement, 25 mars 2020

De ma fenêtre,
Mon jardin abandonné aux herbes folles
Ressemble à une jungle miniature.
Elles ont poussé recouvrant sans vergogne
Les tulipes naissantes et les bleus muscaris.
L’araignée a tissé sa toile en réseau grandeur nature
Les escargots se cachent sous les pots.
En grappes baveuses, ils s’agglutinent et collent,
Du plus petit jusqu’au plus gros.
Sur la branche là-haut, le merle pousse de petits cris.
Il va bien falloir que je m’attelle à la besogne,
Arracher, désherber, nettoyer et semer
Les graines d’un nouveau potager.
Confinement, 26 mars 2020 



Profondément choquée par l’attitude de certaines personnes, ce poème est un hommage et une parole de soutien aux soignants qui reçoivent des messages honteux.
De ma fenêtre,
Ce matin, le soleil illumine d’une lumière diffuse
Les bois, les champs et mon jardin.
Il éclaire en ombres et clartés, qui infusent
Lentement le tableau bucolique du printemps.
J’ai vu débouler deux tornades de poils noirs
Ivres de sauter et courir en liberté.
Mes chats, petits fauves heureux de gambader
Après une nuit, confinés au cœur de la maison.
Si j’avais pu oublier la longue plainte du désespoir
Qui mugit en sourdine et souffle la déraison
Sur un monde schizophrène
Partagé entre la peur et la haine.
A la radio, j’entends qu’un immeuble a chassé
Une infirmière par peur de contamination.
Des parisiens venus se réfugier
Sur la côte atlantique, victimes de discrimination.
Où est la compassion ?
L’entraide et la compréhension ?
Au loin, le soleil imperturbable poursuit son chemin
Il a levé d’un coup de projecteur
Les ombres qui baignaient encore le petit matin.
Je quitte ma fenêtre, de rêver, il n’est plus l’heure.
Confinement, 27 mars 2020

J’ai ouvert la fenêtre de la cuisine pour respirer
En prenant debout mon petit-déjeuner.
Réveil tardif, grasse matinée,
Pas envie de m’éveiller
Et de me rappeler que nous sommes confinés.
Mon œil ensommeillé s’ouvre sur le Lilas
Dont les grappes naissantes frémissent dans le vent.
Les voitures au parking se couvrent de poussière
Immobiles depuis si longtemps déjà.
Le bonhomme vert de Ouest Habitat Conseil
Penche la tête, son casque éclairé par un rayon de soleil.
Le ciel hésite à choisir sa lumière.
Un jour comme un autre, un jour de confinement.
Confinement, 28 mars 2020

De ma fenêtre,
Derrière les volets clos
C’est le vent qui mugit et secoue les grelots
Sopranos du carillon.
Dans le silence feutré de la maison
Ils sonnent comme une alerte.
Le contre-chant du merle noir
Egrène pourtant ses notes emplies d’espoir.
Dehors, c’est la tourmente qui surgit
Pour rappeler aux hommes la force de la nature.
Le bruit du monde qui sature
De l’incurie de nos actions,
L’écho de toutes les blessures
Qu’au vivant nous infligeons,
Viennent grossir la tempête.
J’entends à peine les oiseaux,
Bien calfeutrée sous ma couette
J’ai laissé les volets clos,
Et le monde qui hurle sa défaite,
Là-bas derrière ma fenêtre.
Confinement, 29 mars 2020


De ma fenêtre
Le paysage est immobile,
Pareil hier, aujourd’hui ou demain.
Mais si je regarde bien,
Lentement, les jours qui défilent
Sèment ici ou là des changements infimes.
La tulipe est éclose,
Et de rouge éclabousse
Un petit coin de mousse.
Le vent de la nuit a nettoyé les cimes
Des nuages moroses.
Le soleil illumine le ciel transparent
Et donne un coup de peps à cet instant
Unique !
C’est magique !
Là-haut entre deux branches, les pigeons font un nid.
Le chien de la voisine s’élance en course de folie.
Les frênes, les boulots et les trembles
Agitent leur frondaison ensemble.
Ils murmurent alentour,
Le printemps est de retour.
De ma fenêtre, si j’ouvre l’œil
Je vois la vie devant mon seuil.
Confinement, 30 mars 2020

A ma fenêtre, ce matin
Ne me suis pas penchée.
Levée tard, nuit agitée.
J’ai filé à la salle de bain.
Lavée, coiffée, habillée
En route pour le supermarché.
J’ai fait le plein de vitamines
Asperges, tomates et radis noir,
Des courgettes espagnoles,
Choux-fleurs de nos terroirs,
De l’ail et des oignons venus de la Garonne,
Des carottes pour la bonne mine !
Il est déjà midi
Plus le temps de rêver.
J’ai lavé mes mains
Pour effacer les traces
De ce virus malin
Qui nous menace.
J’ouvre grand les fenêtres
Au dernier jour de mars.
Que le soleil pénètre
Et finisse la farce ! 
Confinement, 31 mars 2020