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Sport # Pornichet

Vendée-Globe : une histoire de femmes et d’hommes

Depuis la création de la course en 1989, ce médecin-marin suit les skippers à distance, de chez lui, à Pornichet.

///// Jean-Yves Chauve, le doc des marins /////

Dans son appartement vue sur mer, le confinement ne pose pas vraiment de problème à Jean-Yves Chauve, ancien médecin de l’hôpital de Saint-Nazaire et médecin officiel du Vendée-Globe. Une habitude même. Car, depuis 1989, tous les quatre ans, le “doc des marins” comme il est surnommé, vit confiné pendant deux à trois mois, en alerte permanente, le téléphone satellite jamais bien loin de lui dans le cas où un des 33 concurrents de cette course mythique en solitaire l’appelait pour des soucis de santé ou un accident.

Précurseur de la télémédecine

Jean-Yves Chauve, ancien médecin de l’hôpital de Saint-Nazaire et médecin officiel du Vendée-Globe.

Si les skippers sont perçus comme les nouveaux aventuriers des mers, « des raconteurs d’histoire d’un lointain horizon » comme il se plaît à les décrire, Jean-Yves le Chauve, lui, à l’ombre de ces stars, écrit également une page de la médecine, en particulier celle de la médecine à distance*. Le “doc” s’est  ainsi révélé précurseur à l’heure de la généralisation de la télémédecine. Lors des premières éditions, le téléphone satellite n’existant pas, « tout se faisait par fax et Saint-Lys radio. Le danger était que le skipper ne comprenne pas, ce qui pouvait amener à des quiproquos. Il fallait trouver une solution pour qu’ils puissent décrire ce qu’ils ressentaient, en particulier leurs symptômes afin de pouvoir proposer un diagnostic précis. Je me souviens qu’un des marins avait alerté son équipe pour dire qu’il s’était cassé la jambe. Dans le langage commun, cela va de la hanche à la cheville. Mais sur le plan médical, cela désigne la partie inférieure de la jambe, c’est-à-dire la partie située entre le genou et le pied. On avait d’abord pensé au péroné, mais en réalité il s’était cassé le fémur », se souvient-il. Un mauvais diagnostic est donc toujours redouté, la vie du marin pouvant être en danger : « C’est à moi que revient de signifier si un navigateur doit arrêter la course pour des raisons médicales. » Une épée de Damoclès qui pèse dès le départ sur chaque marin.  C’est pourquoi le médecin avait innové en mettant en place un QCM avec un code associé. « Par exemple, il suffisait qu’ils m’écrivent 520-b pour que je comprenne ce qu’ils avaient. »

Un laboratoire médical

Le Vendée-Globe est donc vécu comme un « laboratoire médical ». « Sans en avoir réellement conscience, ces marins nous apportent, course après course, des enseignements qui nous concernent tous, dans le quotidien de notre vie à terre », écrit-il dans une chronique sur le site voile-macsf.fr, sponsor d’Isabelle Joschke, une des sept femmes participantes de cette édition 2020 (lire p.14). « Je les prépare en amont, on travaille sur la nutrition, le sommeil, l’ergonomie car l’un de leurs principaux ennemis, c’est la fatigue », qu’elle soit physique ou psychologique.

« Les skippers vivent dans une ambiance extrêmement violente. Dans 4m2, entourés de cadrans, d’appareils électroniques et informatiques, avec un bruit permanent de 120 décibels. Mais le plus dur est que cela se fait dans la durée, entre deux et trois mois », tient à préciser le médecin.

Et aucun entraînement à terre ne peut vraiment préparer à cette réalité. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les anciens vainqueurs du Vendée-Globe sont majoritairement passés par la Solitaire du Figaro. « C’est la thèse de doctorat de la course au large », s’amuse-t-il à dire, lui qui en a également été le médecin organisateur de 1987 à 2017.

Les ingénieurs des mers

Malgré l’admiration et le soutien qu’il porte à ces marins, Jean-Yves Chauve reste lucide quant à l’évolution de cette course. « Sans vouloir être péjoratif, ce sont maintenant avant tout des ingénieurs. Ils doivent faire face à un danger technique permanent », explique le Pornichétin avec un peu de regret pour ce temps où l’homme était face à la nature, à « ressentir la rencontre avec l’albatros et ses trois mètres d’envergure ».

Pour autant, la légende n’a pas changé auprès du grand public depuis la création de la course : la part romanesque de ces derniers aventuriers des mers continue à séduire et à faire vibrer les Terriens. Et pour cause : « C’est un sport qui demande une grande part d’humilité, la mer a toujours raison, c’est la plus forte**. Ces marins ont une forme d’authenticité. C’est pour cela qu’on les aime. »

* Le Guide de la Médecine à distance, de Jean-Yves Chauve (Ed. Distance Assistance, 2003).

** Trois décès lors des éditions précédentes, Mike Plant en 1992, Gerry Roufs et Nigel Burgess en 1996.

 

///// Damien Seguin, le parrain d’A vos soins /////

Le français Damien Seguin.

Damien Seguin est le premier skipper handisport au départ du Vendée-Globe. Né sans main gauche, il fait voler en éclat les préjugés sur le handicap. Son palmarès en fait d’ailleurs un des candidats très sérieux pour cette course : il est triple médaillé paralympique et quintuple champion du monde de voile légère, et a fini 6e de la route du Rhum en 2018. A l’heure où ces lignes sont écrites, le marin est classé 6e de la course.

Ce que l’on sait moins, c’est qu’il est le parrain de l’association nazairienne A vos soins, avec l’athlète Sandra Gomis. « On n’a pas vraiment eu besoin de le convaincre. Dès le début du projet, lors du “crowdfunding” (NLDR, financement participatif et collaboratif), il était présent pour nous soutenir, indique Nicolas Blouin, directeur de l’association. Nous étions invités à son départ, malheureusement, avec la Covid, nous n’avons pas pu nous y rendre. Je lui ai quand même envoyé un SMS d’encouragement. Et je tiens à souligner qu’il ne met jamais son handicap en avant. Il a fondé l’association des Pieds et des mains pour faciliter les personnes handicapées à faire de la voile. » Et pour cause, lui s’était vu refuser la participation à la Solitaire du Figaro en 2005. « Pour nous, c’est une belle image qui met en avant son combat, mais aussi le nôtre. »

Pour rappel, A vos soins et son camion le MarSOINS se sont donné comme mission de réduire l’inégalité d’accès aux soins. Malgré le confinement, l’association continue de déployer ses activités : « Si on ne peut pas être sur le terrain, surtout en cette période, on n’a plus de raison d’être », souligne avec force le directeur. Après Saint-Nazaire, un deuxième camion sillonne maintenant le Finistère. L’association devrait prochainement s’implanter du côté de Chateaubriand et Durval, où le taux de pauvreté est le plus fort du département.

///// Six femmes au départ /////

La française Isabelle Joschke.

Le monde de la mer a toujours été un monde d’hommes. Mais les choses sont en train de changer.  Car la course au large est une des rares compétitions sportives où les femmes peuvent se battre à égalité avec les hommes. Elles furent sept à relever le défi au cours des éditions précédentes : Isabelle Autissier, Catherine Chabaud, Ellen MacArthur, Anne Liardet, Karen Leibovici, Dee Caffari et Sam Davies. Cette année, elles sont six à avoir pris le départ de la course : de nouveau Sam Davies, Isabelle Joschke, Clarisse Cremer, Alexia Barrier, Miranda Merron et Pip Hare. Selon Jean-Yves Chauve, médecin du Vendée-Globe, « le physique n’est pas l’essentiel car la course au large exige des compétences dans tous les domaines, que ce soit dans la stratégie, la gestion du bateau, ou tout simplement dans la manière d’aborder la course (…) Lors de l’édition de l’année 2000, Ellen MacArthur a bouclé la boucle sur les talons de Michel Desjoyeaux, illustration parfaite de cette dualité ».