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Sortir # Saint-Nazaire

Du cœur au ventre

Sous l'impulsion du réseau Carillon de Saint-Nazaire, 11 chefs de la Presqu'île intègrent le grand mouvement de solidarité envers les plus vulnérables en cuisinant pour des personnes sans domicile fixe.

>> La solidarité en plusieurs étapes.

Depuis sa création à Saint-Nazaire fin 2018, la franchise sociale le Carillon portée par l’Association Solidarités et Créations (ASC) n’a eu de cesse de mener des actions avec et pour les personnes sans domicile fixe : création du collectif de commerçants les Carillonneurs, fameuse Soupe impopulaire avec Eric Guérin, chef étoilé de La Mare aux oiseaux, le 14 février dernier sur l’esplanade de l’hôtel de Ville, participation active au travail de mise à abri des SDF de l’ASC depuis le début du confinement…

>> David Négrier et une bénévole de l’ASC.

Le voilà qui a su réunir autour de lui dix chefs cuisiniers de la région prêts à s’investir pour élaborer des repas aux sans-abris temporairement logés à l’hôtel de l’Europe de Saint-Nazaire, aux Abeilles du Petit-Maroc et au Première Classe de Trignac, soit 35 personnes aujourd’hui.

« Depuis le début du confinement, l’Etat finançait l’ASC à hauteur de 8,50 euros par personne et par jour pour fournir ces repas. Ils ont d’abord été cuisinés au local de l’ASC puis, devant le besoin grandissant, commandés à un prestataire. Car il ne faut pas oublier que l’ASC n’a pas interrompu son service de portage de repas à domicile auprès des personnes âgées. La situation s’est compliquée quand, le 31 mars, le ministre de la Ville et du Logement a remplacé ce dispositif par la distribution de chèques services pour un montant de 7 euros par jour et par personne. C’est à ce moment que m’est venue l’idée de lancer cette opération “Les restaurateurs ont du cœur” », resitue Philippe Hamache, un des ambassadeurs du Carillon et porteur de cette initiative.

En effet, ces chèques services exceptionnels conçus par la société UP, ex-Chèque déjeuner, et distribués aux ayant-droits par les associations habilitées, en l’occurrence ici l’ASC, sont sensés permettre, durant la crise sanitaire, l’achat de produits d’alimentation et d’hygiène dans les commerces qui les acceptent.

Des chefs solidaires…

>> De gauche à droite, Eric Guérin, Donatien Sahagun-Mencias, Hugo Charcolin et une bénévole de l’ASC.

Outre leur montant très bas pour des achats directs, ces chèques services posent certaines difficultés supplémentaires quand leurs usagers n’ont pas de cuisine, ce qui est le cas des personnes confinées dans les hôtels. « Impossible pour eux de cuisiner et si les chambres ont maintenant des micro-ondes, les plats préparés coûtent trop chers. J’ai appelé Eric Guérin et les chefs que je connaissais, ils ont activé eux-mêmes leurs réseaux, Calixte Jouon du café Scott a proposé de mettre à disposition sa cuisine proche de l’hôtel de l’Europe, les chefs ont contacté leurs fournisseurs habituels, le centre commercial Leclerc a été interpellé. En quarante-huit heures, tout était réglé », explique Philippe Hamache.

>> Eva Vidal, cheffe du Café Le Centre

Onze chefs ont donc de suite répondu présent : Guillaume Brisard du restaurant Le Skipper (Saint-Nazaire), Hugo et Marie Charcolin de La Tête de l’art (Guérande), Eric Guérin de La Mare aux oiseaux (Saint-Joachim), Laure Maurin du Manège (Saint-Nazaire), David Négrier du Black Sheep Tavern (Saint-Nazaire), Donatien Sahagun-Mencias du Château des Tourelles (Pornichet), Mehdi Tamboura du Petit goinfre (Saint-Nazaire), Romain Toulancoat du Hangar à bières (La Baule), Eva Vidal et Jonas Martin du Centre (Saint-Nazaire).

des produits de partout…

>> Confiseries de Cinéville

« On va chercher des produits à la Banque alimentaire et chez des partenaires comme Leclerc et Métro avec mon camion, Cap Marée de la Turballe nous a livré du poisson frais » Il faut aussi citer les producteurs Burban et Huitric, la ferme des Petites-Mottes, les Pigeons de Mesquer, Cinéville Saint-Nazaire…

>> Chargement au magasin Leclerc par Donatien Sahagun-Mencias

« Pour l’instant, on ne manque pas de produits, et quand nous en recevons trop, nous les donnons, comme ces sacs de pommes de terre précuites qui ont été distribués aujourd’hui devant l’épicerie Totem.  Mais l’idée est de faire participer les bénéficiaires, qui vont chercher leurs colis alimentaires à la Croix Rouge, au Secours populaire ou aux Restos du cœurs. Et ce n’est pas si simple, certains refusaient d’y aller, par honte. Deux d’entre eux ont même essayé, mais sont revenus les mains vides, ils n’ont pas osé aller jusqu’au bout.  Nous les avons donc missionnés au nom du Carillon afin qu’ils se sentent porteurs d’un collectif, qu’ils vivent cet acte comme une intégration digne. »

des bras bénévoles…

>> Benoît, livreur pour Cap Marée

Selon un planning de roulements posé jusqu’à la fin du confinement, les chefs se sont organisés en équipes de deux ou trois. Accompagnés de leurs seconds, voire de leurs 3e ou 4e, ils s’activent déjà à leur piano pour cuisiner des repas pour deux jours, soit quatre repas, quand des bénévoles, de l’ASC ou de tout nouveaux, des membres du Carillon et des personnes sans domicile prennent en charge la pluche, la plonge, le nettoyage, la mise en barquette des plats (barquettes fournies par Leclerc) et les livraisons.

pour des repas chauds au cœur

Chili revisité avec riz au Curcuma, pizza carottes et poivrons, magret de canard, tajine, risotto d’agneau, salade de fruits frais, gâteau au chocolat… les chefs sauront mettre jusqu’à la fin du confinement leur savoir-faire et le savoir-être au service des plus démunis. Ils réfléchissent d’ailleurs avec le Carillon à une forme de prolongation de cette action de solidarité et de lien humain, pourquoi pas à travers d’autres Soupes impopulaires.


A paraître lundi 27 avril notre article “Paroles de chefs”.

A lire aussi « Le Carillon des portes qui s’ouvrent ».

 


 

Témoignages de chefs

Guillaume Brisard, chef du restaurant le Skipper, à Saint-Nazaire, ancien chef étoilé du restaurant Le Fort de l’Océan, au Croisic

« Nos restaurants sont tous fermés, alors on a du temps à offrir pour une cause citoyenne, pour donner un coup de main. Quand le Carillon m’a contacté, j’ai tout de suite appelé les copains, le réseau s’est déclenché. On a tous spécialement besoin de convivialité et de rapports humains dans cette période si particulière, c’est ce qui manque à tout le monde. La cuisine réunit les gens, et cette crise recentre sur notre rapport à la nourriture. En fait, c’est formidable de travailler avec d’autres chefs, dans d’autres conditions. Avec Donatien (NDLR : Donatien Sahagun-Mencias, du Relais Château des Tourelles, à Pornichet), mon binôme dans cette aventure, nous savons faire à la minute, avec les produits à disposition, c’est dans notre ADN. Je suis heureux de cuisiner avec lui. Cela fait remonter les souvenirs, j’ai en effet été son second, comme j’ai été le second d’Eric (NDLR : Eric Guérin, chef de la Mare aux oiseaux, à Saint-Joachim). C’est un plaisir de faire à manger entre potes. Il y aura certainement un suivi de cette démarche après le confinement, on est en pleine réflexion. »


Donatien Sahagun-Mencias, du Relais Château des Tourelles, à Pornichet

« Nous avons la tête dans le guidon toute l’année. Nous sommes en train de en mettre en place des protocoles pour relancer la machine quand on pourra réouvrir, mais là, en attendant, on peut vivre quelque chose d’autre. Avec nos sous-chefs, Guillaume et moi travaillons ensemble les épices, les goûts, les saveurs. On fait selon les produits, en allant voir la veille ce qu’il y a dans les frigos, on sait faire ça. Cette expérience est une forme de recentrage, nous permet du prendre du recul. Faire plaisir à d’autres, c’est notre métier. On ne fait donc pas l’aumône ici, on fait plaisir et on se fait plaisir. On met juste de l’amour dans des boîtes en plastique au lieu d’assiettes. »


Mehdi Taboura, chef et gérant du Petit Goinfre, à Saint-Nazaire  

« On est en pleine transformation du restaurant avec un agrandissement de la terrasse et de la salle. Ces travaux étaient prévus, cette fermeture ne nous cause donc pas de problème pour l’instant. On est prêt pour l’ouverture. on va utiliser cet agrandissement pour la distanciation. On n’a pas grand-chose à faire en ce moment… alors c’était le moment de travailler avec d’autres à une action solidaire. Tout s’est passé très vite, Guillaume Brisard m’a appelé, le bouche-à-oreille a été rapide. Cela me fait un peu drôle d’aller cuisiner au Café Scott car j’ai travaillé à l’ex-Duplex puis à l’ex-Bureau ! Cette expérience est d’autant plus passionnante qu’il faut se débrouiller avec les aléas, comme la chambre froide qui est tombée en panne. Il faut faire marcher le système D et l’imagination, ça me fait de sortir de ma zone de confort et d’une organisation conventionnelle. Tant qu’on aura besoin de moi, je serai là. »


Romain Toulancoat, chef du Hangar à bières, à La Baule, et Laure Maurin, cheffe du Manège, à Saint-Nazaire, en couple

« Il est important de s’entraider dans la vie de tous les jours, de mettre ses capacités à la disposition de ceux qui en ont besoin. J’ai toujours eu cette vision des choses, c’est cela être citoyen. Cela met du baume au cœur de savoir que l’on va apporter un peu de bonheur à d’autres. Ici, on s’adapte, mais ça fait partie de notre quotidien, c’est notre boulot de chef de savoir sublimer les produits que nous avons à disposition pour en faire des plats gourmands. Nous travaillons souvent comme ça avec ma femme Laure Maurin : arriver à faire de bons petits plats avec ce nous avons comme produits disponibles. C’est un exercice que les chefs adorent car il entretient notre créativité. »