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[zoom] 3 visages

(Iran 2018) drame de Jafar Panahi avec Behnaz Jafari, Jafar Panahi, Marziyeh Rezaei. Durée : 1h40.

Note de la rédaction :

Un visage de jeune femme sur un téléphone portable. On devine les parois d’une grotte, on entend suinter l’eau en gouttes. Celle qui dit s’appeler Marziyeh interpelle la célèbre comédienne Behnaz Jafari, lui reproche de ne pas avoir répondu à ses appels, lui dit son désespoir du refus de sa famille de la laisser entrer au Conservatoire de théâtre de Téhéran et du mariage forcé qui l’attend, avant de se pendre.

Behnaz Jafari visionne le message en boucle, elle vient de quitter brutalement un  tournage en cours et, avec son ami le réalisateur Jafar Panahi au volant, roule sur le chemin du village où est censée habiter la jeune fille. Marziyeh existe-elle vraiment ? Ces images sont-elles un simple montage manipulateur ? Est-ce un canular macabre ou un réel suicide ?

Après une longue traversée du pays, Behnaz et Jafar arrivent enfin dans un village cul-de-sac poussiéreux où les hommes les accueillent avec quantité d’invitations au thé et où les femmes se glissent de maison en maison, de lourde porte en lourde porte, cachées derrière leurs voiles. La visite du cimetière ne leur apprenant rien, malgré leur méfiance, ils tentent d’interroger les habitants, mais seule la colère leur répond quand il s’agit de la « saltimbanque folle ».

Dans la veine de Taxi Téhéran (2015), Jafar Panahi, qui interprète encore ici son propre rôle – tout comme Behnaz Jafari –, continue de braver l’interdiction de tournage et l’assignation à résidence décrétées à son encontre par le régime islamiste iranien. En brouillant les frontières de la fiction et du documentaire, il pose à nouveau la question de la possible ou de l’impossible véracité des images et renoue avec le thème de l’enfermement et de la prohibition de tout désir de création et de liberté*.

A travers les vitres de sa voiture, pauvre protection, il nous délivre des bouts d’un monde patriarcal où le mâle, tout comme le taureau reproducteur, règne d’autant plus en tyran qu’il est inculte et miséreux. Et découvre pour nous trois beaux visages, celui de Behnaz Jafari, comédienne mûre et femme assumée, celui de la jeune Marziyeh, déchirée par ses chaînes, et celui que nous ne pourrons qu’imaginer en ombre chinoise, celui de la vieille actrice et poétesse Shahrzad, bannie depuis la révolution islamiste. Trois saltimbanques, aussi folles que lui est fou.

Trois visages n’est toujours pas un film, c’est un voyage clandestin dangereux au royaume de l’archaïsme et de l’autoritarisme, l’expression d’un courage et d’une volonté de dire par l’image qui incarne la seule fenêtre sur l’espoir.

* Comme dans Ceci n’est pas un film (2011), ou la longue séquestration d’une jeune fille interdite d’Ecole des beaux-arts.

Avis à chaud d’un spectateur
« Que voulez-vous que je vous dise, je ne suis pour l’instant capable que de me taire. » (Jérôme, 34 ans)

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous apprenons l’arrestation de l’avocate Nasrin Sotoudeh, figure de la défense des droits humains en Iran, que nous voyions dans Taxi Téhéran.