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Cinéma # Cinéville

[zoom] A cœur battant

(France, Israël 2020) drame de Keren Ben Rafael avec Judith Chemla, Arieh Worthalter, Noémie Lvovsky.
Durée : 1h30.

Note de la rédaction :

Première scène : un couple fait l’amour avec complicité et tendresse. Leur bébé pleure dans la chambre à côté, la mère se lève pour aller le consoler.

Deuxième scène : Julie et Yuhal prennent leur petit déjeuner, les webcams de leurs ordinateurs allumées. Ils se voient et se parlent de très loin, elle à Paris, lui à Tel-Aviv où il attend un visa pour la rejoindre. Des kilomètres les séparent comme on comprend qu’ils séparaient déjà leurs lits la nuit dernière.

Une fois n’est pas coutume, le titre français de ce drame amoureux est plus fort que l’original, The End of Love. Parce qu’il ne présage rien de l’avenir et qu’il est au singulier. Le cœur de Julie va s’emballer, s’arrêter, se tordre d’angoisse, ralentir, s’apaiser, s’accélérer, mourir un peu. Comme celui de Yuhal. Mais rarement leurs deux cœurs battent en même temps : leurs deux histoires sont en train de s’éloigner l’une de l’autre.

Avec les deux comédiens aussi beaux que nuancés Judith Chemla et Arieh Worthalter, la  réalisatrice Keren Ben Rafael réussit ici un pari audacieux : tourner un film à travers la subjectivité de deux caméras d’ordinateur, deux films pour en faire un seul… celui d’une femme et d’un homme qui se sont peut-être aimés mais qui n’ont rien changé d’eux-mêmes.

Au premier degré, on pourrait penser qu’il s’agit ici d’un regard sur les nouvelles technologies et les relations virtuelles, surtout après les deux mois de confinement que nous avons vécus. Mais ce serait réduire A cœur battant à un film daté sociologiquement, bien que la multiplication des écrans participe à la perte d’attention au monde. Nous le préférons comme le récit douloureux d’un amour inabouti où, derrière l’apparence de la présence ne se trouve qu’une absence à l’autre et où, après l’illumination première, les champs visuels ne font que se rétrécir. Julie et Yuhal ont beau bouger leurs ordinateurs, les trimballer de pièce en pièce, les hors champs envahissent de plus en plus l’imagination, ouvrant tous les possibles de méfiance, de jalousie, de suspicion, de doute, de colère. Et s’ils peuvent tenter d’élaborer un récit fictionnel de leur amour, Yuhan ne pourra pas se leurrer longtemps sur sa paternité abstraite.

Jusqu’au visible éloignement, jusqu’à la rupture. Mais est-ce qu’il suffit pour cela d’éteindre sa webcam ?

Il n’y aura pas cette semaine d’avis à chaud de spectateur pour la bonne raison que la salle de cinéma était vide. Pourtant, toutes les consignes sanitaires étaient respectées : gel hydroalcoolique dans le hall, masques obligatoires pendant la séance, entrée et sortie différentes pour ne croiser personne. Que va-t-il advenir des cinémas si le public les déserte malgré leur autorisation d’ouverture ?