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Rap à Saint-Nazaire : une vitalité à toute épreuve

En vingt ans, le rap nazairien n’a jamais perdu de sa bouillonnante activité. Regard sur son évolution.

Vendredi dernier, une vidéo d’une vingtaine de minutes rassemblant onze rappeurs et trois beatmakers, postée par l’association nazairienne Raptaville, a fait le tour des réseaux sociaux. Leurs noms ne sont pas connus, ou pas encore. Ils sont la nouvelle génération rap de Saint-Nazaire, preuve une fois de plus que la scène nazairienne est bel et bien vivante. A l’image de ce qu’est ce genre musical.

Depuis bientôt une décennie, le rap domine la musique en France. Il surplombe les plateformes de streaming et les ventes, influençant au passage presque toutes les scènes : 65 % de la musique streamée est du hip-hop, écouté par près d’un jeune sur deux, selon un sondage de 2017 d’Irma/Ifop/Le Mouv. Quant aux chiffres de février dernier du Syndicat national de l’édition phonographique (Snep), il sont sans appel : parmi les vingt meilleures ventes 2019, neuf sont des rappeurs. « Lorsque rap et hip-hop apparaissent en France au tournant des années 1980, nombreux sont ceux qui n’y voyaient qu’un phénomène éphémère. Trente ans plus tard, ce genre musical est non seulement bien vivant, mais il fait durablement partie des industries musicales, et la scène rap française est même l’une des plus visibles au niveau international », écrit Karim Hammou dans son livre référence, Une histoire du rap en France*.

Au départ, les Maisons de quartier

Ømie$ sort son premier album “Ça va te plaire” ce 25 novembre.

Depuis le début des années 2000, le rap nazairien s’est toujours révélé créatif. Son style est alors celui des quartiers.Les rappeurs — tous amateurs —, parlent de leur galère, de leur vie. Le ton et le verbe ne sont pas à la portée de tous les publics. Le rap des Etats-Unis, dit gangsta, fric, flingue, drogue et business, domine l’imaginaire. Le rap se fait en bas des immeubles, où parfois une scène s’ouvre. Les Maisons de quartier comme celles de la Chesnaie ou de la Bouletterie sont souvent les premières à donner leur chance à ces jeunes rappeurs lors d’animations de quartier. « Quand j’ai commencé, je faisais un rap vulgaire. Jusqu’au jour où je me suis retrouvé devant les parents. C’est la première fois que je me suis autocensuré. C’était frustrant. Je me suis dit alors : plus jamais ça », témoigne Pamphile Hounsou, figure du rap nazairien connu aussi sous le nom de BsF (Béninois si Féroce).

Une génération de rappeurs est alors en train de naître dans la cité portuaire. L’écriture s’affirme, se professionnalise même, c’est le temps du collectif West Team, de West Killer, Animal Guerrier, Diabo, 2Gom, Ismaël, 44CHS…

Des projets fédérateurs

Très vite, cette génération va susciter l’intérêt des institutions locales qui vont financer différents projets comme le festival Plein f’Arts, auquel succédera Street session puis, dans une atmosphère assez houleuse, le festival Bouge à partir de 2014. En parallèle, d’autres projets tentent de “pousser” ces adeptes de la musique urbaine comme Rap&Peace, de l’association Yountiss, qui proposera en 2009 un atelier d’écriture avec le célèbre rappeur Ali Montana ou encore, toujours en 2009, le tournage du clip La Relève par l’association Cité Monde.

Pour autant, aucun n’arrive à percer dans le milieu. La difficulté d’en vivre, c’est un retour à la réalité. Ils sont nombreux à avoir abandonné cette espérance de faire carrière. « On se sert souvent des rappeurs pour faire valoir telle ou telle action, mais on ne les paie pas », critique ouvertement Pamphile Hounsou, qui depuis plusieurs années anime les Open Mind, une scène ouverte qui se déroule à l’hôtel Ibis de Trignac.

Une nouvelle génération

BIRD, de Raptaville.

Depuis vingt ans, le rap n’a cessé d’évoluer, et avec lui ses interprètes. « Il a dépassé les quartiers », soutient Léonard Métayer, alias BIRD, fondateur de l’association Raptaville, lui qui est originaire de la campagne angevine. « Aujourd’hui, il n’y a plus un seul rap. Il y a un rap par humeur de la journée », explique-t-il. Même constat chez Stéphane Baudet, alias Stan Fort, qui est dans l’organisation du festival Bouge. « Il y en a pour tout le monde. Le rap s’est diversifié. Il y a une énorme richesse musicale. Le rap a encore beaucoup à dire. » La preuve en est  avec des jeunes artistes comme La Quica ou LB, qui font un rap banlieue, voire gangster, qui plaît tant aux plus jeunes générations. Les plus anciens comme MC Degra ou BsF expriment, eux, un rap plus mature, “old school” dans sa vision contestataire de la société.

Stan Fort, qui a participé au clip “Conscience nantaise” en mai dernier.

Grâce à l’appui de leurs aînés, une toute nouvelle génération est en train de voir le jour. Elle aussi avec le même espoir de se professionnaliser. Si les clips via les réseaux sociaux sont incontournables pour se faire remarquer, l’accès à la scène reste indispensable. Le VIP, lui, reste trop sélectif, et rares sont les rappeurs locaux qui ont pu se produire sur sa scène**. De leurs côtés les radios Futuradio et sa tranche Urban et La Tribu ouvrent leur micro pour des freestyles. Reste donc le festival Bouge avec son atelier backstage. Est-ce suffisant ? Pas assez, selon les critiques. Malgré tout,  au fil des années, le rap à Saint-Nazaire ne perd pas de sa vitalité.

* Une histoire du rap en France, Karim Hammou (éd. La découverte, 2014).

** Au studio de répétition, le VIP accueille le rappeur Weipse et le groupe Khool West.

Portrait de Pamphile Hounsou, dit BsF.