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Quand des jeunes s’interrogent sur la discrimination

Avec, pour point de départ, l'assassinat de George Floyd et la vague de fond du mouvement Black Lives Matter et du Comité pour Adama, dix stagiaires de l'Ecole de la deuxième chance (E2C) de Saint-Nazaire ont mené un projet citoyen sur le racisme et les discriminations.

« J’ai été choquée par cette violence, je suis une femme noire. » Une vérité cruelle exprimée sans détour par Lily, stagiaire de 21 ans qui a connu E2C grâce à un forum de la Maison de quartier de la Chesnaie. Plus réservée, Fatima, 26 ans, dirigée vers l’école par le Plie (dispositif Plans locaux insertion emploi), ose tout de même parler des regards posés sur son voile. Quant à André, 24 ans, envoyé par la Mission locale, il préfère utiliser l’humour dont on comprend vite qu’il est sa première arme de protection.

 

Les stagiaires à la mairie de Saint-Nazaire.

S’ils étaient au nombre de dix, âgés de 18 à 26 ans, au début de l’aventure en septembre dernier, ils ne sont plus que trois aujourd’hui pour cette fin de parcours à l’E2C, leurs “collègues” étant partis vers l’emploi ou la formation. Accompagnés par la journaliste et formatrice aux medias Mathilde Chevré, le groupe initial s’était posé des questions telles que “C’est quoi, pour nous, le racisme ?”, “En ai-je été ou en suis-je victime ?”. Sur les dix jeunes gens, tous ont affirmé être touchés personnellement par le racisme ou des discriminations. Après avoir sorti d’eux-mêmes leurs blessures, échangé sur leurs expériences et leurs ressentis, ils se sont documentés et ont élargi leur vécu individuel en le mettant en perspective, fabriquant ainsi un levier de possible transformation de la souffrance ou de la colère. Ils se sont aussi initiés aux règles du journalisme et de la radio, formidable outil de prise de parole.

Ils ont ensuite collectivement construit des interviews et rencontré des interlocuteurs aussi variés que des membres des associations militantes le Mrap et Femmes solidaires, un capitaine de police de Nantes, le délégué régional d’Airbus développement, également vice-président du Medef de Loire-Atlantique en charge de l’emploi et de l’inclusion, les élues Jeunesse et Politiques d’inclusions à la Ville de Saint-Nazaire ou une déléguée du Défenseur des droits en Loire-Atlantique. Mais aussi le conteur Mamadou Sall, le chanteur Adé et l’artiste poète Pamphile Hounsou, auteur du clip hommage à George Floyd tourné au Théâtre de Saint-Nazaire, Un genou à terre. Ils sont de plus partis en autonomie au-devant des habitants par des micros-trottoirs sur le marché central. Leur étonnement ne fut d’ailleurs pas des moindres quand ils ont bien dû prendre conscience que certains n’avaient jamais entendu parler de George Floyd ni du mouvement Black Lives Matter. Ce qui n’a pas empêché de belles rencontres comme celle avec un vieux monsieur italien qui leur a raconté les humiliations qu’il avait subies lors de son arrivée en France dans les années 60.

Les stagiaires avec de gauche à droite : Françoise Mahé du Mrap, le conteur Mamadou Sall, le chanteur Adé, l’artiste poète Pamphile Hounsou et la journaliste Mathilde Chevré.

Aujourd’hui, ils partagent le fruit de leur travail d’équipe sur un blog de qualité, aussi passionnant que bouleversant, qui regroupe leurs interviews. Leur projet commun abouti, les voici prêts à s’envoler, Lily dès fin février pour une formation d’auxiliaire d’aide à la personne et Fatima très bientôt pour une formation d’animatrice de jeunes enfants. Et André va passer son permis pour mener à bien son projet de devenir livreur de colis express. Et si leurs chemins vont se séparer, ils font tous le même bilan de ce travail collectif qu’ils résument ainsi : « Nous avons découvert les multiples discriminations, dont certaines que nous n’imaginions même pas », « Mais nous avons aussi rencontré ceux qui se battent contre », « Nous avons appris à entendre toutes sortes de paroles », « Nous avons progressé, nous sommes devenus curieux », « C’est un plaisir d’apprendre », « Tout est en lien avec la confiance en soi ».
Bonne route à eux.

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L’Ecole de la 2e chance Saint-Nazaire, créée en octobre 2018, fait partie d’un réseau national de 133 écoles. Elle accueille chaque année environ 55 stagiaires de 16 à 30 ans. « Ce sont des jeunes sortis du système scolaire sans aucun diplôme*, notre seul critère d’entrée étant la motivation et le désir de monter en compétence pour aller vers l’emploi et la formation », explique Kader Merniz, chargé du recrutement au sein de l’école. L’accompagnement se fait sur trois volets avec une partie de remise à niveau, des stages d’orientation en entreprises partenaires, et 30 % du temps consacré à des projets citoyens et culturels comme celui-ci. A Saint-Nazaire, les stagiaires restent en moyenne cinq mois, mais ils peuvent à tout moment sortir du processus pour partir vers un emploi ou une formation. « Nous avons 64 % de sorties positives, c’est un réel tremplin. »

* En France, près de 100 000 jeunes décrocheurs sortent chaque année de l’école sans diplôme ni qualification (source ministère du Travail).