Retour à l'agenda
Associations # Saint-Nazaire

Fernand Jourdain : le clown, une autre manière d’être ensemble

A l’image de ses clowns, Jericho ou Dorémi, Fernand Jourdain est généreux. Un nez rouge toujours en poche, le co-fondateur de l’Astrolabe 44 enchaîne les créations, les formations et travaille avec les grands noms de la famille clownesque.

Estuaire : D’où vient votre vocation de clown ?

Fernand Jourdain : D’une découverte fortuite en fait. À la fin des années 1970, je prolongeais mon initiation au théâtre, amorcée dans le cadre de ma formation d’éducateur spécialisé au Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire avec Alexis Chevalier. Il proposa une découverte de l’art du clown, suite à sa propre initiation à l’Ecole de Jacques Lecoq. J’ai été tout simplement emballé. Mais les compromis de la vie et mon intérêt à la fois personnel et professionnel pour le théâtre ont mis le clown dans l’oubli. Durant ces années néanmoins fertiles, j’ai participé aux formations artistiques sur le jeu dramatique et l’expression corporelle au CEMEA*, principalement avec Miguel Demuynck, en tant que stagiaire et formateur. Elles m’ont permis d’assurer des animations dans les quartiers, en institution et de conduire des jeunes et des adultes dans des créations ou adaptations collectives, entre autres pour la Compagnie La Cariquelle et Eldorado pour l’Astrolabe 44. En 2014, le clown a ressurgi comme une évidence au détour d’une formation de comédien auprès d’Agnès Jobert du Théâtre Lila à Nantes. Un an plus tard, je basculais dans l’exclusivité du clown avant de fonder en 2017 Chemins de clowns à Saint-Nazaire. Une association qui propose des ateliers et des stages. Elle porte également mes activités de clown marcheur et bientôt des créations en solo, en duo ou davantage.

 

Qui d’autre vous a accompagné, inspiré, aidé ?

Miguel Demuynck, créateur du Théâtre de la Clairière et membre permanent du CEMEA, a beaucoup compté. Il a mis en œuvre les premières journées de théâtre pour l’enfance et la jeunesse d’Avignon à la demande même de Jean Vilar. Il m’a proposé de co-animer avec lui la partie expression corporelle des formations. Lydie Taïeb, fondatrice de l’association Clown Essentiel, m’a donné une certification de formateur clown éveilleur, danse de libération, et m’a ouvert à son réseau du Québec. Quant à Hervé Langlois de la Royal’Clown Company, il est pour beaucoup dans la découverte de mon clown. Chemins de Clowns l’accueillera d’ailleurs à Saint-Nazaire en février pour animer un stage. J’ai aussi découvert la Pantomime avec Pavel Mandurov de l’école Lucidei de Saint-Pétersbourg et intervenant au Samovar. Et c’est l’écrivain « hors des lignes » Louis Hautefort qui m’a fait accoucher de ma propre écriture. Outre ces rencontres majeures, je dois beaucoup aussi à d’autres artistes professionnel-le-s, tels les danseuses Vanessa Leprince et Caroline Boussard, Véronique Thomas du Roy Hart Théâtre, les clowns Eloi Lefébure et Marie Jolion. Ils assurent régulièrement avec moi la co-animation des stages de Chemins de clowns.

 

Vous cherchez la diversité dans votre pratique, mais avez vous une spécificité ?

Mon clown est relié au clown contemporain. A la fois clown poétique, quand il suit les sentiers, et clown excentrique sur scène. Je le sens modestement proche des clowns Buffo d’Howard Buten ou Arletti de Sylvie Germain. Mais ma spécificité serait peut-être celle du clown marcheur parce que je l’ai pratiquée davantage que la scène. J’ai beaucoup marché, chaussé de mon nez rouge, sur les chemins en France et au Québec. J’y ai vécu des rencontres éphémères mais de vie pleine. En marchant avec le nez rouge, j’ai le sentiment d’aller plus vite, plus loin dans les rencontres. Elles peuvent être, mine de rien, plus justes et se développer intensément dans plus de liberté. Pour peu que, dans l’effet de surprise provoqué par l’apparition du clown, l’artiste laisse un espace de jeu possible entre lui et ceux qui passent. Alors le plaisir d’improviser, de jouer avec ce qui se présente, ce moment impromptu, fait surgir le plaisir de la créativité partagée. Le clown me fait aimer les gens et donne des petits plus ridicules d’humanité à notre monde. Le clown est pour moi une porte qui s’ouvre au gré des vents à la joie d’inventer de cœur à cœur et permet de danser un corps à corps joyeux ici et maintenant.

 

Quels sont vos projets ?

Je prépare une petite forme solo au titre provisoire de “Tchou Tchou”, avec le metteur en scène Michaël Egard. Un spectacle construit à partir d’un souvenir d’enfance, celui des locomotives à vapeur que je voyais depuis la ferme de mes parents à Fontenay-le-Comte dans les années 50. Je courais sur le quai du dépôt pour traverser les nuages de vapeur de la locomotive que déchargeait le cheminot en me voyant. Il y a aussi un duo burlesque avec Marie Jolion de la Clownerie, provisoirement intitulé Camping, concerto pour banane et clarinette, suite à notre formation sur le burlesque avec Norbert Aboudarham, qui compte aussi beaucoup. Et puis j’anime un atelier d’une douzaine de clowns le mercredi pour une création collective qui sera présentée en fin de saison 21-22. Enfin, je suis partie prenante d’un café-théâtre burlesque A table, un mariage en délire de dix clowns professionnels, créé l’été dernier et qui devrait être présenté prochainement à Nantes.

 

Qu’aimez-vous dans le clown ?

J’aime sa simplicité, son authenticité et sa présence dépouillée. Aussi la liberté qu’il s’autorise malgré toutes les contraintes pour être là. Ces contraintes l’aident à écrire et à improviser avec ce qui est là, devant lui, avec lui-même et le public. Faisant comme par magie de petits riens, de ses ratages et fragilités quelque chose d’extraordinaire. Il est capable de transformer ses obsessions, ses répétitions, ses manies en gags aux grosses ficelles le plus souvent. Et surtout ce que j’aime en lui, c’est sa générosité. Il est généreux de tous les sentiments humains avec le public, des risques qu’il ose prendre. Le clown est la lumière amoureuse qui luit de nos failles. Et c’est un vrai bonheur pour moi d’animer des stages pour des « nouveaux nez » ou des initiés.

* Centre d’entraînement aux méthodes éducatives actives

Lire « Le clown contemporain trace une voie hors piste ».