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Portraits # Saint-Nazaire

La musique de tous les sens

Marcel Courjault nous a quittés. Acteur majeur de la défense du braille, homme de culture et d'art rempli d'humanité et d'exigence, Marcel Courjault restera une figure essentielle de Saint-Nazaire.
Nous l'avions rencontré en septembre dernier à l'occasion d'une interview et nous avions ensemble admiré son jardin aux allures de campagne au cœur de la ville. C'est avec émotion que nous ressortons aujourd'hui le portrait que nous avions dessiné de lui durant cette matinée ensoleillée.
Estuaire présente ici toutes ses condoléances à sa femme Marie-Andrée, à sa famille, à ses amis et à tous ses élèves de piano qui doivent se sentir comme orphelins.

Marcel Courjault baigne depuis sa petite enfance dans un amour de la musique qu’il ne cesse de transmettre autour de lui, par ses concerts, ses cours de piano et les traductions de partitions en Braille qu’il réalise avec sa femme Marie-Andrée Courjault, elle aussi musicienne.

Marcel Courjault est né de parents agriculteurs dans les Deux-Sèvres. De la musique, il ne connut petit que l’accordéon des mariages et l’orgue de l’église du village. Aucune école n’étant apte à enseigner à un enfant aveugle, c’est à Nantes qu’il partira dès ses 7 ans, à l’internat de l’Institution départementale des sourds-muets et jeunes aveugles de La Persagotière. Il y restera jusqu’à la fin de ses études.

« Nous y suivions le cursus scolaire ordinaire, mais apprenions aussi le Braille et bénéficions d’études musicales poussées, explique-t-il. Ma mère a appris le Braille pour que nous puissions nous écrire, elle avait acquis une petite machine d’embossage manuelle, une tablette avec un poinçon, l’équivalent d’un cahier et d’un crayon avec un côté écriture et un côté lecture. J’ai commencé le solfège, la chorale, l’histoire de la musique et le piano dès le début du primaire. Vers 9-10 ans, je connaissais déjà pas mal de fugues de Bach ! En troisième, je faisais trois heures de piano et une heure de violon par jour, c’était des classes Cham* avant l’heure. Après la troisième, je ne me suis plus consacré qu’à la musique, jusqu’à mes 20 ans. Mes parents avaient confiance en l’école et en moi, ils m’ont soutenu du fin fond de leur campagne. Pour les non-voyants, la musique a longtemps été la matière la plus enseignée dans les écoles spécialisées, elle permettait de développer nos autres sens, et de trouver une place sociale en intégrant des orchestres. Après l’école, beaucoup devenaient organistes, et c’est ce que j’ai fait aussi en obtenant le poste d’organiste de l’église Sainte-Anne, à Saint-Nazaire, poste que j’occupe toujours. »

Atelier d’accords à la Persagotière.

Diplôme en poche, le jeune Marcel Courjault arrive donc à Saint-Nazaire en… mai 68. « J’étais logé au foyer des travailleurs, je venais d’un milieu rural et j’étais totalement ignorant du milieu ouvrier. Je me souviens de Cohn-Bendit dans une avenue de la République noire de monde. » Mais le jeune homme va vite trouver ses marques en enseignant également le piano, d’abord dans une école de musique de La Baule, puis comme professeur indépendant. Vinrent ensuite la rencontre avec Marie-Andrée, licenciée de musicologie, flûtiste à bec et professeure au collège, et la naissance de quatre enfants.

Le Braille, un combat pour l’autonomie

Le couple s’investira avec une poignée de musiciens non voyants de la région à la création en 1989 de l’association CTMBI, Centre de transcription de partitions musicales en Braille par informatique, les éditions les plus récentes datant alors du début du siècle. Et c’est ce à quoi travaille depuis 1995 à plein temps Marie-Andrée Courjault quand Marcel Courjault en assure la relecture et la correction. Un travail de l’ombre et pointu s’il en faut puisque l’écriture musicale en Braille n’est pas faite de notes superposées, mais de façon linéaire, les notes étant inscrites à partir des lettres de l’alphabet, une note pouvant nécessiter jusqu’à une dizaine de caractères. La transcription musicale en Braille est en cela une réelle et délicate traduction d’un système d’écriture à un autre facilitée grâce à un éditeur informatique de textes en Braille et une imprimante embosseuse. Plus de 2 500 nouvelles pages sont ainsi transcrites par année pour 20 000 pages vendues, sans compter l’édition d’une revue et la transcription des bulletins de vote pour la Ville de Saint-Nazaire.

« Notre action favorise l’inclusion. Grâce aux progrès de la médecine, peu de gens aujourd’hui ne voient pas du tout, et on ne leur enseigne donc pas le Braille. Pourtant, cet apprentissage est important, même si non indispensable dans l’immédiat. Quant à la synthèse vocale, elle n’est pas une formation solitaire de la pensée, elle passe par la voix de l’autre. Le Braille constitue un véritable accès à la culture et à l’autonomie. Les Etats-Unis l’avaient abandonné il y a quarante ans et ils s’y remettent… L’intégration en France des enfants dans les classes ordinaires ne peut plus permettre cet enseignement. La transcription des partitions finira peut-être par se perdre, comme il y a de moins en moins d’enfants non voyants musiciens. Et ce serait une grande perte. » 

* Classes à horaires aménagés musique

 

///// EN CONCERT /////

Marie-Andrée et Marcel Courjault donneront un concert de pièces pour flûte à bec et clavecin du 18e siècle à l’occasion de Fort en fête samedi 14 septembre, de 15h à 16h. Lire notre article.