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La route des oubliés

Le graveur Samy Abesdris et le photographe Thibault Vandermersch exposent dans les murs d’Emmaüs jusqu’au 23 mars. Deux arts, deux approches pour un même regard plein d’humanité sur le parcours des migrants.

Le graveur Samy Abesdris (à gauche) et le photographe Thibault Vandermersch, deux artistes engagés.

« Que rêver de mieux qu’Emmaüs ? Un lieu en cohérence absolue avec le message humaniste » que Samy Abesdris et Thibault Vandermersch veulent transmettre au travers de ce premier projet commun, La route des oubliés. Cette exposition “photogravée”, déjà présentée à Bordeaux en 2021 et au festival Les Escales l’année suivante, met le doigt là où ça fait mal, là où ça gêne. « Et ça gêne, vraiment. On s’est retrouvés face à des murs », déplore le duo d’artistes engagés qui, à contrepied des idées figées, continue à chercher des lieux pour mettre en lumière ces femmes et ces hommes « qu’on ne veut pas, plus voir. Qu’on oublie ».  

Les migrants 

Des femmes et hommes qui, pour des raisons multiples et multiformes (guerre, persécution politique ou religieuse, épidémie, néo-esclavagisme, catastrophe naturelle…) ont dû fuir leur pays. Tourner le dos à leur propre existence, laissant tout derrière eux, jusqu’à un parent. Et qui, pour des milliers d’entre eux encore, errent comme des âmes en peine. Fuir, prendre la route, les canots de fortune, à leurs risques et périls, tristement d’actualité. Des déserts arides, des mers déchaînées, des montagnes enneigées, souvent acculés au désespoir face à ces murs de barbelés anti-migrants ! Fuir, franchir, geler, arpenter, mourir, traverser, couler, trouver « un chemin à la recherche de leurs vies perdues. Un refuge, un abri le temps de se reconstruire ». Mais à quel prix ? Les deux artistes “migrants” – car Nazairiens depuis quelques petites années – ne cherchent pas à répondre directement à cette question. Mais plutôt à « interpeller sans culpabiliser ou dénoncer. A faire réfléchir, à faire en sorte que l’on s’interroge sur leur capacité d’humanisme, de fraternité, de générosité ». 

En plus de l’expo, un diaporama en continu des œuvres non présentées et des séquences de débats avec le public, chaque samedi après–midi.  

Le photographe 

Aussi, retracent-ils ces parcours tragiques par le prisme de leur art respectif : la gravure pour Samy, la photographie pour Thibault, professionnel depuis plus de 25 ans… Des études en Belgique, un long ancrage à Lille, avec Calais et la jungle dans le viseur. Quinze ans sur le terrain, à couvrir le sujet pour Libération, Mediapart et quelques agences de presse… Avec son lot de « violences, de tensions, de trafics, d’échanges, d’émotions bouleversantes ». De la jungle de Calais, « on n’en ressort jamais indemne, et jamais tout court », confie Thibault, avec cette envie certaine de poursuivre son chemin de photo-humaniste « mais pas forcément là-bas, ailleurs. En France, regarder ce qu’il se passe juste au coin de ma rue ». 

Dans la jungle de Calais, photographie de Thibault Vandermersch. 

 

En attendant, La route des oubliés continue d’exister. Thibault exposera à Emmaüs quinze de ces milliers d’images et visages de réfugiés pris à Calais. Au côté des gravures de Samy, son beau-père, à l’origine de cette union artistique, un terme qu’il défend corps et âme : « Car il ne s’agit pas d’un reportage, mais bien d’une exposition esthétique » mise au service de ces œuvres d’art que sont, à cet effet, la photographie et la gravure.  

Et le graveur 

Gravure de Samy Abesdris. 

 

La gravure, une discipline que Samy, né au Maroc avant d’être accueilli à cinq ans dans une maison d’enfants à Rueil-Malmaison, a découverte à l’âge de 18 ans. Il s’en souvient comme si c’était hier : « Un ami m’a fait découvrir l’atelier Pasnic, grandement réputé à Paris et ailleurs. J’y ai travaillé, rencontré l’illustre graveur James Coignard (1925-2008) qui m’a appris la technique de la gravure au carborundum. Et surtout à lâcher prise. » Depuis, Samy n’a eu de cesse de jouer de l’abstraction, des reliefs et des aspérités dans son atelier transféré de Colombes à Saint-Marc-sur-Mer, il y a deux ans. Où « le chercheur plus que l’artiste » passe des heures entières, la spatule affûtée, à tester, expérimenter, se renouveler. Et s’inspirer des questionnements qui le hantent. A l’instar de La route des oubliés, une série d’une cinquantaine de gravures (15 seront présentées) réalisée sur trois ans, née d’une indignation intérieure : « Chaque jour, au feu de la A86, je voyais la même famille syrienne faire la manche, avec ce sentiment de gêne qui m’envahissait. Je voulais la masquer. Cette pensée m’était insupportable. »  Une pensée à peine avouable qu’il a exorcisée par son art, gravant avec son cœur la solitude, l’exode, l’attente, le rejet, les frontières et ces murs… qui s’érigent mais ne tombent pas.