[zoom] L’établi
(France, 2023), drame de Mathias Gokalp, avec Swann Arlaud, Mélanie Thierry, Denis Podalydès.
1h57.

“Les établis”, c’est le surnom que l’on donnait aux jeunes militants d’extrême-gauche, souvent issus de milieux intellectuels ou bourgeois, qui se faisaient recruter en usine, pour comprendre le travail de l’intérieur et soutenir les mouvements ouvriers. Il y a eu plusieurs milliers d’“établis” à travers la France dans les années 60. Ce film est inspiré de l’expérience de l’un d’entre eux, Robert Linhart. Jeune professeur de philosophie maoïste, il se fit embaucher à l’usine Citroën de la porte de Choisy, à Paris, en septembre 1968. Il en a tiré un livre, L’Etabli (1978).
Le film part donc d’une histoire vraie, mais, même si certains éléments sont inventés, le côté romanesque est justement dosé. Il reste un témoignage honorable, et nécessaire, de ce qu’était l’usine dans ces années-là. On y voit ce que le travail à la chaîne fait au corps et à la tête, le rythme lent mais abrutissant des gestes répétés pour monter des 2CV. Le film montre bien, aussi, les difficultés redoublées des ouvriers immigrés, et le racisme assumé des supérieurs. Sans oublier les femmes, combattantes de premier rang. Face à eux, un patron (Denis Podalydès, très bon, comme d’habitude), cynique, joue sur la division pour mieux régner.
A l’usine Citroën de la porte de Choisy, en septembre 1968, la direction a décidé de faire travailler les ouvriers 45 minutes de plus, par jour, sans hausse de salaire, pour compenser la grève de mai. Vont-ils accepter cette décision injuste sans broncher ? Robert fait partie de ceux qui désirent le plus un soulèvement. Mais il n’a encore rien dit à ses collègues de sa situation. Quand il rentre le soir dans son grand appartement, il renfile ses beaux habits. Il retrouve sa femme (Mélanie Thierry) et leur jeune fille éduquée dans l’amour de la révolution. Normalien, Robert sait qu’il pourra toujours retourner enseigner à l’université. Va-t-il trouver sa place dans la lutte ouvrière, avec toute ce qu’elle a de beau et difficile à la fois ? En tout cas, ses convictions sont sincères, si l’on en croit la brillante interprétation de l’acteur Swann Arlaud, qui n’en fait ni trop, ni pas assez. Sorti pendant le mouvement de contestation contre la réforme des retraites, ce film tombe à pic pour qui veut se (re)plonger dans une partie peu connue de l’histoire sociale française, et se questionner sur le sens de l’engagement.