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Portraits # Saint-Nazaire

Kévin Ortega, le coiffeur maraudeur

Voilà deux ans que Kévin Ortega, coiffeur visagiste de profession, sillonne les rues avec son salon mobile pour prendre soin des personnes sans abri. Il se bat maintenant pour élargir le réseau qu’il a créé : Coiff in the street.

Comme son accent le chante, Kévin Ortega, 30 ans, n’a pas grandi dans la région, mais dans le Sud, à Aubagne. Il n’a rejoint la Loire-Atlantique qu’il y a un mois, ou plutôt il a rejoint sa compagne qui vit à Piriac. Mais il n’a pas perdu de temps puisqu’il a déjà commencé ses maraudes à Saint-Nazaire et qu’il en prévoie à Nantes. « Très jeune, j’ai été bénévole aux Restos du cœur de Marseille, à la distribution, je coiffais aussi un peu dans les locaux. Mais, les années passant, je me sentais trop cadré, j’avais besoin d’agir autrement. Je suis tombé sur une vidéo Facebook où on voyait un jeune coiffeur londonien qui coiffait gratuitement des sans-abri. Dès le lendemain, j’ai mis un post sur les réseaux sociaux annonçant ma venue à La Ciotat, je préférais commencer par une petite ville. J’ai été suivi par le journal La Provence et par ma sœur photographe : ça a fait boule de neige, et j’ai continué à Marseille et ses alentours », raconte le jeune homme, dont la détermination se mêle à l’humilité.

Après la création d’une association d’accompagnement des sans-abri à La Ciotat, Un cœur d’or, Kévin Ortega préfère se concentrer sur son objectif premier, utiliser son savoir-faire et les outils de son métier, et créer un véritable réseau solidaire avec ses confrères : Coiff in the street. « Nous sommes actuellement une vingtaine sur la France, plus ou moins actifs selon nos disponibilités, et je lance des appels pour inciter d’autres coiffeurs à descendre dans la rue. De là l’importance des réseaux sociaux et du besoin de médiatisation de nos actions de terrain. J’interviens aussi dans des écoles de coiffure pour sensibiliser les apprentis. J’ai construit une charte afin de structurer les façons de procéder car il faut savoir poser un cadre et suivre un process qui tienne la route, par exemple sur les rapports avec la police ou les commerçants qui nous donnent éventuellement accès à l’électricité et à l’eau. Pour le reste chacun est maître de sa maraude. »

Casser les barrières

Avec son salon mobile offert par une entreprise de coiffure et sa bâche de protection pour le sol afin d’éviter des problèmes avec la maréchaussée, Kévin Ortega tend à « redonner une estime de soi à ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas se déplacer. Parce qu’ils sont souvent nomades et qu’ils ne connaissent pas les structures qui pourraient les accompagner, ou parce qu’ils sont trop amochés, enfoncés dans leur trou noir. J’essaie d’ailleurs de leur donner des infos de base, de les aiguiller quand c’est possible ». Et si les personnes sans abri se dévoilent peu, des liens se tissent cependant entre peignes et ciseaux. « Après la méfiance première, 90 % sont partants pour une coupe ou un rasage. En fait, le contact est facile s’il se fait dans la simplicité. Certains ne sont pas allés chez le coiffeur depuis des années, une coupe les rebooste, je leur demande ce qu’ils souhaitent, ils sont comme dans un vrai salon, ils sont fiers. Touchés aussi que quelqu’un s’occupe d’eux, ait un contact physique avec leur tête ou leur visage, eux qui n’ont plus guère l’occasion d’en avoir. C’est émouvant de voir une femme pleurer parce qu’elle se sent belle, simplement parce que je lui ai fait un brushing. » Et quand les passants étonnés s’arrêtent pour regarder ces “invisibles” transformés en stars d’un instant et pour le remercier, Kévin insiste : « C’est avec les sans-abri qu’ils devraient parler, pas avec moi qui ne fait qu’un geste technique. Voilà pourquoi je vais dans la rue, pour faire bouger les barrières. Le lien et le don de soi n’ont pas de prix, je ne fais que suivre les règles fondamentales que m’a inculquées ma famille d’accueil*. Je les transmets comme je pense être le mieux, et je ne lâcherai pas. » 

* Kévin Ortega a été confié bébé à une famille d’accueil par la DASS.