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« Comprendre ce qui nous arrive »

Quels sont les effets du confinement sur les personnes suivies individuellement par un “psy” ? Peut-on à ce jour en tirer des conclusions ? Nous avons interrogé deux spécialistes de Saint-Nazaire, un psychologue clinicien et une psychiatre.

Jean-Luc Mahé, psychologue clinicien et psychanalyste en libéral

Estuaire. Comment pouvez-vous suivre vos patients en cette période de confinement ?
Jean-Luc Mahé. Curieusement, le premier effet du confinement s’est porté sur les psychologues eux-mêmes. Il a en effet modifié notre façon de travailler puisqu’il a fallu fermer nos lieux de consultations. La téléconsultation (téléphone, Skype, WhatsApp,…) est devenue en quelques jours notre nouvel outil. J’ai également dû m’y mettre à partir de la deuxième semaine, malgré mes réticences au départ, pour répondre à la demande de certaines familles pour leur enfant. J’ai donc prévenu les familles que je restais à leur disposition si elles le souhaitaient. L’idée est de laisser une demande prendre forme. A ce jour, j’ai deux entretiens hebdomadaires avec un enfant. Je dois m’entretenir avec un autre enfant, là encore à sa demande et à la demande de ses parents, la semaine prochaine.
Pour les adultes, c’est différent. J’ai proposé à quelques patients de continuer le suivi parce que je sentais que c’était nécessaire pour les aider à passer ce moment. Les personnes sont d’ailleurs très contentes d’avoir des rendez-vous hebdomadaires qui viennent trouer le confinement. A ce jour, je suis toujours cinq patientes et un patient.

 

Après trois semaines de confinement, constatez-vous une plus grande détresse, ou une détresse différente ?
Les réponses sont différentes selon les personnes. Je ne note pas pour le moment d’angoisse massive et collective. Il y a bien des poussées à certains moments, je pense notamment à une patiente, mais nous avons convenu ensemble qu’il était préférable qu’elle s’éloigne des sources d’informations, des médias, ce qu’elle fait et qui lui permet de traverser cette période sans trop de difficulté. Un autre patient pour qui la période est anxiogène trouve sa solution, « un exutoire », en regardant des films, des émissions scientifiques, des vidéos qui lui permettent de maintenir ce réel anxiogène à distance.
Une maman me disait hier au téléphone que ça devenait difficile à la maison, que tout était objet de « challenge », d’opposition, de conflit entre elle et son fils qui ne comprend pas la situation qui lui est imposée. Tous les enfants ne sont pas égaux devant ce réel auquel ils sont actuellement confrontés.

De façon étonnante, le confinement agit parfois comme un agent qui soulage une souffrance. C’est le cas pour un enfant qui se sent beaucoup mieux depuis qu’il n’a plus à subir la pression scolaire, le rythme quotidien de l’école. Sa famille parle d’« une sérénité retrouvée ». Pour cette autre patiente adulte à laquelle je pense, qui ressent habituellement un sentiment d’injustice, le confinement a un effet positif car il rétablit une certaine justice dans le monde, celle d’une souffrance commune, d’une difficulté partagée. Cette patiente note d’ailleurs avec joie les élans de solidarité qui se manifestent dans son immeuble.

 

Quels sont les besoins premiers de ces patients en cette période ? Quelles conséquences directes pourriez-vous voir surgir ?
Il me semble que c’est le désir de parole et d’échange. Les gens ont besoin de partager ce qu’ils ressentent, de comprendre également ce qui nous arrive individuellement et collectivement. A ce sujet, l’après confinement sera très intéressant à observer.

Il convient d’être prudent quant aux effets du confinement à long terme. Il ne me semble pas souhaitable en effet qu’il dure trop longtemps, car il pourrait avoir des effets négatifs, notamment sur certains enfants qui ont des difficultés avec la séparation. Après de longs mois passés en famille, la reprise scolaire pourrait s’avérer délicate. Les enfants ont besoin de se confronter à d’autres enfants, dans d’autres institutions que la famille. Cela contribue à leur émancipation. Il ne faudrait pas que le confinement les aliène davantage à la sphère familiale. C’est également important pour les parents qui n’ont pas à se substituer aux enseignants, ce qu’ils font actuellement car il n’y a pas d’autres possibilités.

 

Comment envisagez-vous le déconfinement pour tout ou partie de vos patients ?
Comme je le notais plus haut pour les enfants scolarisés en maternelle et en primaire, il faudra sans doute être vigilant au moment de la reprise scolaire. Que celle-ci se fasse en douceur, que l’école se fasse accueil dans un premier temps avant de relancer la machine. Le confinement risque d’être un amplificateur des inégalités. Pourquoi d’ailleurs ne pas profiter de cette expérience collective pour aider les enfants  individuellement à subjectiver quelque chose de cette expérience dans des travaux scolaires ?

De toute façon, pour tout le monde, il y aura un avant et un après Covid-19. La marque du réel c’est de nous transformer, de nous faire devenir Autre. Qu’en sera-t-il pour chacun après cette expérience inouïe que nous vivons ? Difficile encore de le prédire. J’attends également beaucoup des artistes et de leurs créations à venir pour nous interpréter ce moment. Je n’oublie pas que Lacan, insiste, après Freud, pour que l’on considère l’artiste comme celui qui fraie la voie.

Entretien réalisé dimanche 5 avril 2020

 

Myriam Tesson, psychiatre et pédopsychiatre en libéral

Estuaire. Comment pouvez-vous suivre vos patients en cette période de confinement ?
Myriam Tesson. Tout d’abord , je suis psychiatre et pédopsychiatre, c’est-à-dire que je reçois environ 3/4 d’adultes et 1/4 d’enfants ou ados.
,J’ai fermé mon cabinet au début du confinement tout en laissant un message sur mon répondeur pour que ceux qui le souhaitent me contactent par téléphone. Donc, soit la communication téléphonique est assez rapide pour ceux qui vont plutôt bien, soit je programme des entretiens téléphoniques de trente minutes.

Je ne fais pas d’entretien avec les enfants (un peu avec leurs parents). Il est en effet difficile de ne passer que par le langage quand j’ai l’habitude d’avoir des moyens de médiation comme le jeu, la pâte à modeler ou le dessin…

 

Après trois semaines de confinement, constatez-vous une plus grande détresse, ou une détresse différente ?
Pour le moment, les différentes pathologies restent quasi identiques même si, bien sûr, ceux qui souffraient d’anxiété voient leurs symptômes se majorer.
 Les patients se sentent sécurisés de savoir que je peux rester en contact avec eux et c’est avant tout leur première demande.

 

Comment envisagez-vous le déconfinement pour tout ou  partie de vos patients ?
Evidemment, tout le monde souhaite être déconfiné le plus vite possible et me pose beaucoup de questions à ce sujet. J’essaie donc de les rassurer , de leur montrer le bienfait de cette mesure tout en leur disant qu’il ne faut pas s’attendre à être “libéré” avant au moins un mois (à dater d’aujourd’hui samedi 4 avril).

Entretien réalisé samedi 4 avril 2020