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Sortir # Saint-Nazaire

« Parce que l’on peut mourir de solitude »

Laurent, qui souffre de troubles psychiques, raconte sa vie en temps de confinement et a accepté que sa parole soit rendue publique.

Avant, j’allais au CMP (NDRL: Centre médico-psychologique) rencontrer mon psychiatre et au CATTP (NDRL : Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel) qui propose diverses activités de groupe, surtout artistiques, à des personnes qui souffrent de troubles psychiques. Comme tous les rendez-vous physiques sont annulés, j’ai un rendez-vous téléphonique mensuel avec mon psychiatre du CMP, pour parler et pour les médicaments. Et j’échange deux fois par semaine avec l’infirmière du CATTP.

Mais essayer de panser une blessure à distance n’est pas efficace. On se sent mieux sur le coup, c’est vrai, mais le sang continue de couler. Il manque l’essentiel, la rencontre. Etre face à une autre personne apaise les troubles qui m’agitent. Même si cette communication est forcément asymétrique, cette présence est essentielle quand on est en grand isolement et que les rencontres sont rares.

Etre avec d’autres représente une difficulté, l’autre crée le trouble. Le CATTP est un lieu de resocialisation, un endroit où on se retrouve avec d’autres qui ne nous perçoivent pas comme malade, mais comme semblable. C’est un temps où on peu oublier que l’on est fou.

A l’extérieur, je perçois des regards hostiles, profondément agressifs, et je ne sais même pas s’il y a une pensée derrière ces regards. L’agitation, la précipitation du monde, sont terrifiantes. Le CATTP est une respiration pendant laquelle on retrouve une sorte d’équilibre, où le fil sur lequel on marche est un peu mieux tendu, où on peut faire des pas plus grands, ça nous aide à avancer.

Pendant ce confinement, je n’ai plus vraiment d’objectif. La parole que j’ai avec mon psychiatre et l’infirmière du CATTP est importante, mais nous ne sommes pas dans le faire, dans l’activité, dans la compagnie. C’est irremplaçable. En temps “normal”, ces rencontres sont mon unique alternative, je ne trouve pas ça ailleurs. Aujourd’hui, je ne le trouve nulle part.

Je continue à dessiner chez moi, mais les dessins que je fais seul sont très différents, j’ai besoin d’avoir la conscience de l’autre, c’est lui qui m’inspire. C’est une activité qui prend du sens dans le regard de l’autre et je suis dans une forme de frustration, je dois vivre avec ce goût d’inachevé. C’est peut-être ce que ressentent les artistes, je ne sais pas, cette frustration.

Je ne crois pas que je montrerai ma production après le confinement car je ne sais pas si d’autres ont trouvé les mêmes ressources que moi. Je suis hyper sensible à la notion d’inégalité, j’y suis confronté dans mon quotidien, c’est ce que je ressens à chaque interaction dans la rue, faire des courses est très compliqué pour moi, je n’ai pas les mêmes capacités d’adaptation que la majorité des gens. Les personnes qui vont au CATPP sont comme moi, alors je ne veux pas y reproduire l’inégalité.

Je continue à faire mes courses, bien sûr, mais la peur que je perçois, la réalité de la rue, je ne comprends pas tout ça. Je ne m’informe plus, j’entends des chiffres non éclairés. Je n’ai pas plus peur que d’habitude, mais je ressens celle des autres, qui ajoute à ma peur parce que je crains les réactions provoquées par cette peur.

Vous savez, j’ai beaucoup de rituels, dont celui d’aller me promener sur le front de mer, près de chez moi. J’ignorais que le front de mer était interdit, je ne m’en suis pas rendu compte. J’ai subi un contrôle brutal de la part de policiers très agressifs. Ça, ça me fait très peur, car je sais que je peux réagir violemment, que je peux me transformer en “incroyable Hulk vert” quand je subis une surcharge émotionnelle. Je sais que je représente alors un danger, pour les autres et pour moi-même.

Ce que je comprends, c’est que l’on vit dans un monde fou. Heureusement, il y a des petits îlots de chaleur humaine. J’ai vécu un temps dans la rue, je connais bien cette population, et on se donne des petits rendez-vous de maquisards. Parce que l’on peut mourir de solitude. On souffre des autres, mais on ne peut pas se passer d’eux. On se croit plus fort que la nature, que d’autres cultures, que ce que l’on ne connaît pas, que la mort. Je crois que l’on a peur de tellement  de choses que l’on ne peut pas se permettre d’avoir peur de l’inévitable.

Voilà, je parle comme un expert de plus, vous savez, ceux qui n’arrêtent pas de parler à la télé ! Mais bon, on n’entend pas la parole des fous. On ne l’entend pas en temps dit normal, alors, là, en temps de crise… on n’existe pas.

Laurent (qui n’a pas souhaité donner son patronyme), Nazairien, 52 ans.