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Cinéma # Salle Jacques-Tati

[zoom] Les oiseaux de passage

(Colombie, Danemark, Mexique 2019) drame de Ciro Guerra et Cristina Gallego avec José Acosta, Carmiña Martínez, Jhon Narváez.
Durée : 2h01.

Note de la rédaction :

La toute jeune Zaida termine son année de “retrait”. Elle a, selon la tradition, appris le tissage et les rites wayuu. Elle est consacrée femme devant la communauté réunie. Dans une danse prénuptiale rituelle, elle rencontre Rapayet, qui veut l’épouser. Mais Zaida est fille de matriarche, et la dote est élevée : vingt chèvres, quatre vaches, deux mules et quatre colliers. Amoureux, le petit négociant de café va se lancer dans le trafic de marijuana avec de jeunes hippies américains à la recherche de fumette. Cela paie bien, très bien même. De deux sacs transportés à dos d’âne, les livraisons se feront très vite par tonnes, par camionnettes et petits avions. Le désert craquelé se couvre peu à peu de 4×4, les yeux se cachent derrière des Ray-Ban, les cabanes traversées de vents brûlants sont remplacées par des villas aussi blanches que clinquantes. Les codes d’honneur sont bafoués, les tombes ne contiennent plus d’ancêtres mais des réserves d’armes, les Wayuu ne rêvent plus et ne lisent plus les signes, ils possèdent. 

Cette fable qui n’est pas issue d’une légende nous est racontée, ou plutôt chantée, par un passeur de mémoire, rare survivant de la guerre des familles wayuu devenues cartels de narco-
trafiquants du nord de la Colombie entre les années 1970 à 1980. Cinq “cantos” pour transmettre un passé ancestral, et dix ans d’une ascension et d’une chute qui resteront dans l’Histoire sous le nom de “bonanza marimbera”. Dans la veine du réalisme magique de l’écrivain Gabriel García Márquez, les réalisateurs Cristina Gallego et Ciro Guerra peuplent leur film de visions poétiques, d’oiseaux porteurs de prophéties, d’imaginaire coloré, d’esprits en visite. Avant de le faire glisser vers les codes dominants américains et de le transformer en western amérindien sanglant. Ils puisent avec intelligence dans les racines de l’héritage wayuu pour mieux nous conter la mort d’un peuple à la dérive quand la mafia remplace la communauté, la violence la parole donnée, les massacres la solidarité dans un environnement qui mène la vie dure à ceux qui y sont nés. Deux formes cinématographiques pour une tragédie que seul un vieux berger solitaire peut encore chanter. Magnifique.

Avis à chaud d’un spectateur
« C’est vraiment réussi, très beau. Je dirais… haletant, et plutôt surprenant. » (Paulin, 51 ans)