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Cinéma # Ciné Malouine # Salle Jacques-Tati

[zoom] Sorry We Missed You

(Royaume-Uni 2019) drame de Ken Loach avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone. Durée : 1h40.

Note de la rédaction :

La famille Turner vit au bord d’un gouffre sans même le savoir. Lui, Ricky, enchaîne les boulots, elle, Abby, s’occupe de personnes âgées à domicile. Ils auraient pu continuer à s’enfoncer lentement dans la pauvreté sous les petits coups du libéralisme, mais Ricky, plein de courage, rejoint une société de livraison, imaginant devenir ainsi son propre patron. Tout du moins, c’est ce qu’on lui vend : du vent. Il commence par acheter une camionnette avec l’argent de la voiture que sa femme utilise pour son travail et remonte ses manches, prêt à bosser jusqu’à pas d’heure.

Le piège est installé : équilibriste sans filet, sans protection sociale, sans congés, sans horaires, aussi géolocalisé que ses colis, il s’élance dans une course contre la montre perdue d’avance puisqu’il n’a aucune prise sur ses règles. Pour tenter de compenser cette noyade inexorable, Abbie n’a plus qu’à courir de bus en bus, d’une pauvre vieille qui a perdu la tête à un pauvre vieux incontinent, offrant sans compter son humanité à la solitude humaine. Pendant ce temps, les deux enfants souffrent, écrasés sous le poids de l’angoisse de leurs parents, pourtant aimants, mais maintenant si absents.

De Cathy Come Home, le premier long métrage de Ken Loach, à Sorry We Missed You, il y a plus de cinquante ans. Témoin d’un glissement social que ses films suivent comme un livre ouvert sur l’Histoire, le cinéaste dirige aujourd’hui sa caméra et ses acteurs avec la même révolte et de plus en plus d’acuité. Sorry We Missed You est le film du temps de l’ultralibéralisme, de la casse du collectif, de l’auto-asphyxie. Sous le règne de
l’“ubérisation”, Ricky et Abby s’abîment au jour le jour. Ils ne travaillent plus pour vivre avec leur famille, mais… pour continuer à travailler dans un monde de mensonge où le rêve d’être son “propre patron” n’est que le cauchemar d’être devenu “en toute liberté” son propre esclave. Seuls. Sans rien d’autre à transmettre à leurs enfants que la peur au ventre. Et après ?

Avis à chaud d’un spectateur
« Les comédiens sont extraordinaires, dans une fiction plus réaliste qu’un documentaire. En fait, après un tel film, on se tait. » (Philippe, 65 ans)