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Expos # Saint-Nazaire

Stéphane Thidet voit le bruit en rose

La nouvelle installation de Stéphane Thidet aurait dû être présentée à Saint-Nazaire en 2020, en parallèle à son œuvre “Rideau” du Théâtre Graslin.
De chute, de nouveau, il sera question. Mais pas d’eau… De sable. Une œuvre unique « encore jamais vue ailleurs à ce jour ».

Estuaire : Après Rideau du Théâtre Graslin à Nantes en 2020, place à Bruit rose au Life… Une désynchronisation voulue ?  

Stéphane Thidet : Non, à la base, ces deux projets devaient être synchronisés, comme deux gestes stéréophoniques. On a réussi à mener au bout celui de Nantes. Mais celui du Life, dû au confinement, à l’impossibilité d’accueillir du public en intérieur, puis à sa mobilisation en vaccinodrome, a été décalé pendant deux ans.
C’était important pour moi de relier ces deux villes avec lesquelles j’entretiens une histoire intime. L’une de mes premières expositions personnelles a eu lieu au Grand Café (Dehors !, 2007).
L’année qui suivait, Jean Blaise m’invitait à Estuaire 2007-2009, j’avais pour projet d’introduire des loups dans le parc du château des ducs de Bretagne. Deux moments très forts. Alors quand 10/12 ans plus tard, j’ai été réinvité par les deux structures la même semaine, dans le plus grand des hasards, j’ai trouvé ça tellement incroyable que l’idée de les jumeler, de créer ce trait d’union, cette résonance était une évidence.  

Pourquoi bruit rose plutôt que bruit blanc, note bleue, des couleurs qui se réfèrent à la musique ? 

Le bruit rose, en musique, est un ensemble de fréquences extrêmement riches, c’est le son qui se rapproche le plus de celui d’une cascade, d’un torrent. Le son fait image. Et j’aime le convoquer, parfois.  

Bruit rose… Pour une cascade, donc, faite de sable ! Pourquoi le sable ? 

Autant à Nantes, j’avais envie de travailler avec l’eau, le fracas, le débordement. Autant au Life, j’étais plus attiré par le lieu même. Un milieu composé principalement de sable. Un bunker, n’est-ce pas un mélange de ciment et de sable ? Il y avait cette envie de le faire couler par son intérieur. Le sable utilisé ici est issu de coques de fruits broyées… Une cascade végétale plus que minérale ! 

Stéphane Thidet, Bruit rose, 2022 au LiFE – base sous-marine de Saint-Nazaire. Production Le Grand Café – centre d’art contemporain. Courtesy Galerie Aline Vidal, Paris @ ADAGP, Paris, 2022. Photographie Martin Launay, Ville de Saint-Nazaire. 

 

Le Life, un lieu qui vous attire, son histoire résonne-t-elle dans Bruit rose ? 

Quelle légitimité aurais-je de réveiller cette histoire douloureuse que je n’ai pas connue. Je préfère mes outils poétiques pour éveiller, raconter d’autres histoires. Mais bon, si je parle d’une chute, ce n’est pas sans résonance avec le lieu et son histoire. Evidemment, quelque chose s’y rattache.  

Le sable, comme le temps qui coule, s’écoule ?  

Oui, comme un cycle perpétuel qui est “toujours jamais” pareil ? En musique minimale, les notes répétitives, telles les flammes d’un feu de bois, paraissent semblables et pourtant elles ont des différences. Le sable aussi, pour le temps qui s’épanche, à l’infini. J’ai érigé, comme on érige une sculpture en bois, une matière qui est là, bien présente. Mais si elle arrête de couler, il n’existe plus rien.  

De quoi éveiller nos imaginaires philosophiques ?  

C’est un mélange de contemplation, de rythmes, de complexités entre la douceur, la beauté, l’inquiétude, la gravité… Regarder quelque chose qui tombe de manière perpétuelle n’est pas forcément bon signe. C’est aussi le monde dans lequel on vit.  

Positif ou négatif ?  

Ça dépend. Pour certains, la pluie est une mauvaise nouvelle. Pour moi, c’en est une bonne. Comme pour ceux qui vivent en région aride, et beaucoup moins pour ceux qui y sont en vacances ! Ce qui m’intéresse, c’est l’aspect ni positif ni négatif des choses. Ni éthique ni jugement. Quand une tempête souffle et qu’un arbre s’arrache, est-ce injuste, cruel ? En fait, c’est juste la vie. 

Cette installation fait 8 x 6 m… Peut-on dire d’elle qu’elle est monumentale ? 

Le lieu l’est déjà tellement… J’ai voulu ne pas le remplir, assumer son immensité, pour faire résonner son vide. Activer la fonction poétique de cet espace pour fabriquer une distance, un point de vue à l’échelle, une sorte de déambulation. Plus on s’approche de la cascade, plus elle prend corps.  

On vous définit souvent comme le manipulateur du réel…  

Parce que je ne suis pas quelqu’un qui représente. Quand je travaille avec des loups, je ne dessine pas des loups, j’invite des loups. Quand je travaille sur une cascade, je ne dessine pas une cascade, je fais une cascade. J’ai besoin que le geste artistique soit ancré dans une réalité accompagnée de toutes ses ingratitudes. Le sable, c’est la poussière ; l’eau, des éclaboussures. J’essaie du moins possible de domestiquer ce geste ; lui laisser encore un certain ensauvagement.  

Comment avez-vous conçu cette œuvre ?  

C’est un geste simple et techniquement très complexe. Je suis en dialogue avec l’équipe technique du Life et les Ateliers puzzle à Nantes. Ils pensent avec moi, cherchent des solutions techniques pour ce type de projet qui réclame de l’invention. Une chute d’eau, on connaît les techniques, c’est ancestral. Une cascade de sable, on part de 0. Et c’est après bien des étapes, dans les ateliers, que l’échelle souhaitée fait sens.