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Spectacles # Saint-Nazaire

Une trop bruyante solitude

Les livres ne sont pas que du papier, ils sont vivants, ils sont des voix, ils sont en nous, ils sont la liberté.

L’ouvrier pragois Hanta travaille depuis près de trente-cinq ans dans une usine de papier. Sa tâche ? Broyer sous une presse hydraulique des tonnes d’ouvrages interdits dont la matière sera recyclée. Mais l’homme est indocile, il s’abreuve de leur lecture et d’autant de bière. Défiant tous les dangers, il décide de sauver de la mort quelques-uns de ces trésors en les métamorphosant en cubes de papier décoratifs, de résister en transformant le chaos de cette destruction en une forme plastique. « Je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool ; elle s’infiltre si lentement qu’elle n’imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu’aux racines de mes veines, jusqu’aux radicelles des capillaires », dira Hanta, la chair frémissante, seul au milieu de toutes ses créations.

Il y a du 1984 de George Orwell et du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury dans ce roman du romancier tchèque Bohumil Hrabal. Mais Une trop bruyante solitude* n’est pas une dystopie, Hanta y est le narrateur frère de l’écrivain dont les ouvrages étaient censurés et pilonnés par la dictature soviétique et dont ce texte a d’abord été diffusé en samizdat** à travers Prague. On ne peut non plus ne pas penser au plus récent Liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent, quand le bruit des bottes n’est même plus nécessaire, remplacé par la déformation d’un mode de vie qui exclut le sens même de la vie.

La réalisatrice Vera Cais l’avait adaptée en 1995, c’est aujourd’hui au metteur en scène Laurent Fréchuret de s’emparer de cette fable politique. Seul sur un plateau nu et souillé, dans une lumière titubante, le comédien Thierry Gibault campe avec puissance cet homme résistant en littérature qui combat le contrôle de la pensée et de l’expression. L’adaptation théâtrale est réussie, la direction d’acteur ciselée. Elles laissent toute leur place à la nécessité de la culture et à la défense de sa liberté face à tout totalitarisme, qu’il soit manifeste ou insidieux.

Un spectacle émouvant, fort, essentiel. D’actualité. Parce que si le papier des livres se recycle, il en est de même de leurs mots, qui se passent de témoin en témoin, de cœur à cœur.

* Une trop bruyante solitude, de Bohumil Hrabal, 1976, éd. Le Seuil, ou en livre de poche (éd. Robert Laffont).
** Publications clandestines d’ouvrages interdits par la censure de l’ex-URSS.

📌 Un échange avec l’équipe artistique est proposé aux spectateurs à l’issue de la représentation du jeudi 24 février.