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Pupille

Il est des films qui atteignent avec grâce l’équilibre fragile entre social, humain, émotion et délicatesse. “Pupille” en fait partie. Rencontre avec la réalisatrice Jeanne Herry et la comédienne Elodie Bouchez, qui y interprète Alice, une femme sur le parcours de l’adoption.

Estuaire. Le film commence par une scène de sidération où la caméra est presque en focale macro. Pourquoi le choix de cet angle original ?

Jeanne Herry

 Jeanne Herry. J’ai construit Pupille comme un film d’action à travers l’intérieur des personnages. J’ai voulu filmer à la loupe ce que donnaient les acteurs, filmer le cœur, le cerveau, la peau, les pores. Cela à ce moment décisif où on annonce à Alice, après huit années de gestation dans le processus d’adoption, qu’un enfant l’attend, un moment où, devant cette immense nouvelle, elle est dans une volonté de contrôle pour être “présentable”, telle qu’on la souhaite. Après une succession de bonnes et de mauvaises nouvelles, d’espoirs et de déceptions, elle est aussi dans la méfiance : “Quoi encore ? Qu’est-ce qui m’attend ?” Cette scène installe la vibration du film, elle envoie la balle de l’émotion.

Justement, Pupille est autant un film d’émotion que d’information très pointue, comment avez-vous articulé ces deux volets ?

Jeanne Herry. J’ai travaillé avec des services à l’enfance de Brest. Chaque professionnel s’est emparé du sujet et a eu à cœur de me guider vers de nouvelles rencontres en créant pour moi un véritable réseau. Ils m’ont fourni une documentation énorme sur les protocoles. J’ai été portée par l’humanité du regard de tous ces travailleurs sociaux qui travaillent bien ensemble et qui veulent continuer à pouvoir faire correctement leur travail. Ils sont tous confrontés à leurs propres désirs, à leurs propres solitudes, à leurs propres émotions, mais ils sont protégés par le cadre qu’ils respectent. Ce sont ces vies que j’ai gorgées de mystère, de fiction, de romanesque, d’ellipses à remplir par l’imagination. Je me suis centrée sur la pureté de l’équation entre cette femme, la mère biologique, cet enfant, et cette femme adoptante, Alice. Une équation portée par la société. J’ai voulu comprendre quel était ce collectif qui encadrait ces trois personnes en souffrance, quelles étaient ses missions.

Elodie Bouchez, vous incarnez un personnage attachant, aussi puissamment déterminé qu’habité de doute. Comment l’avez-vous rencontré ?

Elodie Bouchez

Elodie Bouchez. Tout était construit par l’écriture de Jeanne. J’ai incarné Alice, je ne l’ai pas inventée. J’ai une totale confiance en Jeanne. Mon travail a été de remplir Alice d’humanité, de me muscler pour son projet, d’en faire un personnage renforcé.

Jeanne Herry. Elodie a quelque chose de ce personnage, traversée de souffle, de courants d’air, mais aussi hyper compacte. Elle a su s’emparer du chemin introspectif et de déminage que représente l’adoption. Mais cela va au-delà de l’adoption, on devrait tous s’y appliquer dans la vie.

Elodie Bouchez. On ne demande pas aux futurs parents biologiques s’ils seront de bons parents, s’ils méritent leur enfant. Pourtant, on devrait tous travailler sur sa solidité, déminer son champ, ranger sa chambre. Plus on prend conscience de notre cathédrale, complexe, plus on avance.

Jeanne Herry, le choix de Gilles Lellouche en assistant familial n’était-il pas un sacré pari ?

Jeanne Herry. J’ai voulu explorer les possibles, créer un beau personnage masculin qui ferait ressortir le bébé, les gestes de soins et de tendresse. J’ai dit récemment à Gilles que toutes les femmes de France allaient maintenant le vouloir comme père de leur enfant… Il m’a répondu qu’il était prêt !

Elodie Bouchez, après des rôles de révoltées ou de comédies décalées, diriez-vous que celui d’Alice serait celui de la maturité ?

Elodie Bouchez. On le voit comme cela, c’est ce que l’on me renvoie… et je le ressens comme cela aussi, alors ça doit être juste.