[zoom] L’usine de rien (A Fábrica de Nada)
(Portugal, 2018) comédie dramatique, comédie musicale de Pedro Pinho avec Carla Galvão, Dinis Gomes, Américo Silva. Durée : 2h57.
La banlieue industrielle de Lisbonne, il fait nuit noire. Un ouvrier d’une fabrique d’ascenseurs surprend un homme qui charge des machines-outils dans une camionnette. Affolé, il téléphone à ses collègues qui se précipitent hors de leurs lits : on est bien en train de vider leur usine. Après avoir sauvé ce qu’ils pouvaient face à un homme disant « faire son travail, vous pouvez comprendre », ils attendent de pied ferme la direction qui débarque au petit matin avec un ingénieur et une jeune DRH que personne ne connaît. Les discours sont lénifiants et se veulent pédagogues : il faut faire face à la “crise“ et délocaliser, personne ne sera perdant. Mieux, ce sera pour les salariés l’occasion de rebondir et de construire de nouveaux projets, et surtout restons calmes, pas de violence inutile et contre-productive. Confrontée à des ouvriers qui refusent de quitter les lieux, la direction et la DRH fantoche disparaissent, tout simplement, les abandonnant dans cette usine aux machines silencieuses.
Qu’est-ce qu’un ouvrier dans une usine qui ne fabrique rien ? Un homme dont la valeur n’est pas le savoir-faire et le travail, mais ce qu’il coûte ? Trop cher.
Quel drôle d’objet cinématographique que ce film tourné dans une entreprise réelle gérée par ses salariés depuis quarante ans et majoritairement interprété par eux… Le réalisateur Pedro Pinho et le collectif indépendant Terratreme réalisent ici une œuvre chorale contemporaine où les paroles vivantes et les pensées contradictoires s’entrechoquent comme les sons, les musiques, les styles et les registres. D’échanges politiques à scène de comédie musicale, de conflits à envolées poétiques, de concert punk à sobriété des gros plans, ils nous livrent une mosaïque d’urgences sans réponses. Penser, inventer : seule certitude face au Rien qui remplace les valeurs qui constituaient le sens du travail et de ce qu’on appelait la dignité humaine. L’usine de rien est un film libre, déroutant, doucement perturbant parce que sans autre message que celui de l’incertitude.
Mireille Peña
Avis d’un spectateur
« Très fort, surprenant. Plus qu’un film purement militant. J’ai eu l’impression que l’esthétique assumée est autant en recherche que le sujet traité. Je n’ai pas vu le temps passer malgré les presque trois heures, je me suis laissé embarquer, sans résister. » (Laurence, 39 ans).