[zoom] Tesnota – Une vie à l’étroit
(Russie 2018) drame de Kantemir Balagov avec Darya Zhovner, Veniamin Kats, Olga Dragunova. Durée : 1h58. Interdit aux moins de 12 ans.
La jeune Ilana termine la réparation d’une voiture dans le petit garage de son père, la nuit tombe, père et fille s’offrent une petite pause avant de fermer l’atelier. Nous ignorons encore que ce temps paisible est le dernier que nous vivrons durant les deux heures que dure Tesnota – Une vie à l’étroit. Nous sommes en 1998, dans la pauvre petite ville du Caucase où le réalisateur Kantemir Balagov a lui-même grandi et où les communautés juive et kabarde ne se mélangent pas. Ce soir, c’est la fête, David, le fils de la famille, se fiance. Mais après la danse vient le drame : David et sa fiancée sont enlevés contre rançon par une bande de ces mafieux qui pullulent dans le pays : où trouver l’argent si ce n’est en vendant en mariage la fille, Ilana, à une famille juive plus riche ? Rien que de banal, une fille contre un fils, une fille dont on aurait de toute façon choisi le mari, tradition oblige.
Grand prix du Festival Premiers plans d’Angers
et Prix de la critique internationale dans la section Un certain regard au Festival de Cannes.
Mais Ilana secoue ses chaînes et refuse le sacrifice : elle ose aimer Zalim, un Kabarde, elle ne porte que des salopettes, ne se sèche pas les cheveux, fume, veut vivre une vie qui serait la sienne. Tesnota – Une vie à l’étroit n’a rien d’un polar, il nous enferme dans les geôles d’un communautarisme où chaque minorité accuse l’autre “tribu” de tous ses maux et où la jeunesse est en train de mourir étouffée. La jeune fille tente de se faufiler entre une mère
rigide, un père obéissant, un amoureux fasciné malgré lui par la violence tchétchène. Tel un animal blessé lors d’une chasse, elle court, se met en danger dans l’alcool et la drogue, se terre, cherche de l’aide auprès de jeunes gens aussi éperdus qu’elle, unique fille à hurler son désespoir dans une société où seuls les hommes sont visibles. Mais, au fait, où sont donc les filles ? Chez leurs parents, à apprendre de leur mère les règles de matonne qu’elles devront reproduire et dont elles seront les garantes, comme le fait si parfaitement la mère d’Ilana, prête à dévorer au nom de la famille et du respect, prête à déchiqueter celui qui sort du droit chemin et à étrangler de ses bras d’amour qui étreignent aussi puissamment qu’une camisole de force. La caméra de Kantemir Balagov cerne sans cesse le visage d’une Ilana prise dans les phares d’une voiture qui finira forcément par l’écraser, comme elle écrase sans état d’âme la tendresse des hommes, la compréhension des mères, les rêves de la jeunesse.
Un grand premier film d’un réalisateur de 27 ans à peine, un grand rôle pour la déchirante Darya Zhovner et peu d’espoirs pour la grande Russie.
Avis à chaud d’un spectateur
« Suffoquant, je me suis sentie enfermée dans les plans serrés de la caméra. Je n’ai pas regardé ce film, je l’ai subi, la respiration coupée. Ca nous rappelle aussi que nous avons de la chance en France, et que nous devons être extrêmement vigilants. » (Jeanine, 62 ans)