Moyen-Orient
Un voyage avec de la danse, des mots, de la musique. Faire appel à notre imaginaire pour conjurer les peurs. Un souffle de vie.
Marc Nammour
Le Moyen-Orient… Du berceau des civilisations à la terre de conflits… Une région aux allures de poudrière où retentissent les fracas de la guerre et son cortège d’abominations. Des cendres de ce monde chaotique naît une forme de résistance à travers une scène artistique foisonnante. Vitalité et imaginaire. Le Théâtre nous invite à partager quatre rendez-vous incontournables.
D’abord de la danse avec Dresse-le pour moi, une pièce puissante de Nancy Naous qui démonte les stéréotypes de la virilité glorifiée infligés telles des prisons aux hommes d’Orient (lire ci-dessous). Ensuite, place au théâtre pour une plongée dans une fresque historique, décris-ravage, consacrée à la question de la Palestine. Comment en est-on arrivé là ? La metteur en scène Adeline Rosenstein s’empare de ce sujet en reprenant tout depuis 1799. Sous la forme d’un feuilleton palpitant en six épisodes, elle tente de démêler l’énorme nœud de ce conflit. Un spectacle performance à la fois érudit et audacieux. Une vraie fête du savoir.
La troisième étape sera musicale avec le poète-rappeur Marc Nammour pour “99”. Les natifs du 99, ce département fantôme, sont tous les résidents français nés à l’étranger. Accompagné de quatre musiciens, il nous plonge dans l’itinéraire d’un exilé et glisse ses textes sur une musique métissée, de la contrebasse au santûr. D’une grande force poétique, les mots résonnent, percutants. Un concert comme un lieu où tous les ailleurs se réunissent.
Et pour finir, une grande fête de l’imaginaire avec le conteur libanais Jihad Darwiche. Se laisser happer par les Mille et une Nuits, chef d’œuvre de la littérature arabe où s’entremêlent la sagesse, le sourire et le merveilleux. Sans oublier Malices et sagesses de l’Orient, des contes pour faire rire ou sourire qui s’égrènent comme un collier de perles lustrées par les mains des mères. Pour petits et grands.
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Dresse-le pour moi
Une danse nourrie de traditions pour réinventer le corps masculin
4120 est le nombre de kilomètres qui séparent Beyrouth de Paris. C’est aussi le nom de la compagnie créée par la chorégraphe libanaise Nancy Naous. Accueillie au Théâtre il y a deux ans avec These shoes are made for walking (Ces chaussures sont faites pour marcher), un duo sur les corps violentés du Printemps arabe, elle présente aujourd’hui sa nouvelle pièce et explore le rapport au corps des hommes. Sur scène, deux danseurs brouillent ainsi les frontières entre masculin et féminin. Avec inventivité et puissance vitale. Comment s’affranchir des carcans et des stéréotypes ?
Estuaire. Que signifie pour vous ce titre, Dresse-le pour moi ?
Nancy Naous. Dresse-le pour moi est la transcription littérale de la dernière partie d’une prière très répandue dans les sociétés arabo-musulmanes. Elle a été transmise par l’un des disciples du prophète Mohamed. Quand un jeune garçon ne correspond pas aux normes exigées, son père implore le seigneur et prie en disant : « Dieu, tu sais que je me suis efforcé d’éduquer mon fils ; j’y ai échoué. Dieu, dresse-le pour moi. »
Estuaire. Parlez-nous de la manière dont le corps masculin se construit dans les sociétés arabes ?
NN. Il y a beaucoup de stéréotypes, de préjugés et d’idées rigides pour définir l’homme arabe. Or, le sujet de la masculinité dans cette partie du monde est très peu exploré. Naître de sexe masculin dans les sociétés arabes n’est pas une responsabilité simple à gérer : le corps masculin, valorisé, exalté, admiré et glorifié, s’y construit sur les prérogatives masculines, des traditions sociales, religieuses et politiques, des certitudes héritées et rassurantes qui sont perpétuées au fil des générations et qui imposent un modèle strict, un pur dressage. Le corps masculin est à réinventer.
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