La mécanique du langage
Installation sonore de l’artiste Anne Le Troter, “Parler de loin ou bien se taire” s’est emparée du Grand Café.
©Marc Domage.
Le Grand Café de Saint-Nazaire reçoit jusqu’au 21 avril la jeune artiste française Anne Le Troter pour son exposition “Parler de loin ou bien se taire”, titre inspiré de la morale d’une fable de Jean de La Fontaine, L’homme et la couleuvre, dans laquelle l’animal critique le comportement humain et se fait tuer par l’homme. Avec cette nouvelle installation sonore, elle questionne donc le langage et le temps, deux sujets centraux depuis sa première exposition en 2015 à la biennale de Lyon, où elle avait présenté “Mitoyennes”, un montage de paroles d’employés d’une entreprise d’enquêtes téléphoniques pour des sondages. Là, elle interrogeait la forme et la malléabilité de la langue orale. « A partir de cette exposition, j’ai commencé à suivre son travail », confie Sophie Legrandjacques, directrice du Grand Café. L’artiste a ensuite obtenu le Grand Prix du 61e salon de Montrouge qui lui a ouvert les portes du Palais de Tokyo.
A présent, Anne Le Troter s’empare du discours stéréotypé, mécanique, lisse, celui qui transforme l’homme en marchandise. En effet, “Parler de loin ou bien se taire” utilise les fiches descriptives de 400 donneurs de sperme d’une entreprise américaine (informations standard, personnalité du donneur et opinion des membres de l’équipe) retranscrites en français, anglais, espagnol par trois comédiens* (Charlotte Khouri, Stéphane Ramirez et Samuel Roger). « A travers ces discours, la singularité de la personne s’efface », constate Anne Le Trotter, pour qui « la spatialisation du lieu est pensée comme un corps, les mots répétés forment les organes pour faire battre, si possible, ce cœur ». L’objectif de ce cheminement sonore polyphonique de trente minutes est donc de retrouver la personnalité derrière le personnage créé de toute pièce. A chacun de tendre l’oreille pour sentir ce battement, ou non.
* En 2018, Anne Le Troter, en collaboration avec Charlotte Khouri, a mené le projet “Théâtre chez l’habitant/théâtre d’habitation”, lors d’une résidence à Saint-Nazaire sur invitation du Grand Café. En lien avec chaque lieu, elles mettaient en scène la biographie de donneurs de sperme. Certains habitants qui ont accueilli ces saynètes ont aussi contribué à la bande sonore de “Parler de loin ou bien se taire”.