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Jeunesses face au Covid : un avenir professionnel bouleversé

L’image a fait le tour des réseaux sociaux et suscité l’indignation : des files d’étudiants en plein couvre-feu attendant l’aide alimentaire.

Depuis mars 2020, de nombreuses voix s’insurgent du choix de sacrifier la jeunesse française durant cette épidémie. Estuaire tente de dessiner la situation actuelle des 15 à 25 ans de la région nazairienne. Ce premier volet est consacré à leurs doutes quant à leur avenir professionnel, entre difficulté à trouver des stages et peur de se retrouver au chômage. Comment se projeter dans l’avenir quand l’horizon est embrumé par les conséquences de la crise sanitaire ?

À l’Afpa : une situation contrastée selon les secteurs

A l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes), la directrice de l’antenne nazairienne Sawsan Ozeray reconnaît que la situation est anxiogène pour les stagiaires : « Certains ne trouvent pas de stage, et donc ne seront pas payés, ce qui les met dans une grande difficulté financière. Nous essayons donc d’intervenir auprès des entreprises partenaires pour leur en trouver. Nous constatons aussi une certaine détresse sociale et psychologique. Avec le couvre-feu, certains de nos stagiaires subissent l’isolement, ils viennent à la formation et repartent chez eux, seuls. »  Reste que la situation est très contrastée selon les secteurs professionnels. « Il n’y a par exemple aucun souci pour trouver un stage dans le médico-social », affirme-t-elle. Les Ehpad et autres structures d’accueil, confrontés à des difficultés de recrutement, sont en effet très demandeurs. Tandis que dans l’aéronautique, l’emploi est au point mort.

« Le monde de l’aérien a subi la crise de plein fouet. La dernière promotion n’a toujours pas trouvé de travail. Airbus nous a demandé de continuer à former sur le câblage, mais c’est pour monter en polyvalence ses salariés. »

Et l’avenir s’annonce toujours incertain malgré les aides massives de l’Etat*. Les entreprises font le dos rond, CDD et intérimaires ont disparu des ateliers.

La dernière promotion en aéronautique qui n’a pas encore trouvé du travail.

Dans le tertiaire, la difficulté à obtenir un stage réside dans le fait qu’une partie du personnel est actuellement en télétravail. « Comment un tuteur pourrait-il s’occuper d’un stagiaire à distance », s’interroge Sawsan Ozeray. A défaut, certains doivent se contenter d’un stage qui ne correspond pas vraiment à leur formation ou à leurs attentes. « On fait au mieux avec les entreprises. Mais cela n’est pas facile », reconnaît-elle. Pour autant, la directrice garde un certain optimisme. Depuis décembre dernier, l’Afpa accueille en son sein le dispositif des 16-18**, dans le cadre du projet gouvernemental “Un jeune, une solution”. Ce dispositif, réalisé en partenariat avec la mission locale, permet à des jeunes décrocheurs de se « réconcilier avec leur avenir professionnel ». Sur quatre mois, Ils construisent un projet professionnel débouchant sur un apprentissage, une mission longue durée, une école de la deuxième chance, un retour en cursus scolaire…

 

Au lycée hôtelier Sainte-Anne,
on veut voir le verre à moitié plein

Le lycée professionnel a dû s’adapter : « Nous avons fait le choix de garder nos élèves en présentiel. Depuis quelques années, nous avons investi dans des tablettes et lors du premier confinement, le travail à distance a donc pu se faire facilement. Et si nous sommes obligés de fermer l’établissement à nouveau, nous pourrons réagir rapidement. Les process sont déjà en place », explique Frédéric de Ravinel, le directeur de l’établissement.

Si la situation « n’est pas idéale », ce dernier reste néanmoins optimiste même lorsque ses élèves doivent trouver des stages malgré la fermeture des bars et restaurants ou dans des hôtels tournant au ralenti.

« Nous avons envoyé ceux qui ont comme spécialité le service vers des entreprises de vente alimentaire. Cela leur donne un aperçu plus global du secteur, ce n’est pas du temps perdu. Les cuisiniers ont été placés dans la restauration collective ou dans certains métiers de bouche et ils continuent à travailler dans notre restaurant. A la place de la clientèle habituelle, ce sont nos élèves qui viennent y manger. Ce qui présente l’avantage d’avoir moins de brassage à la cantine », explique le directeur de l’établissement.

Pourtant, malgré un secteur fortement impacté, la filière attire toujours autant. « Nous battons encore des records d’inscriptions », se réjouit Frédéric de Ravinel. Les derniers résultats de réussite aux examens, qui ont atteint 100 % l’année dernière et plus de 95 % les années précédentes, contribuent fortement à la réputation de l’établissement.

* L’aéronautique comptabilise 12 000 emplois en Loire-Atlantique. Une aide financière de 200 millions d’euros pour 2020 a été accordée par l’Etat et 300 millions d’euros pour 2021.

** Dispositif 16-18 : afpa.fr

 

///// Témoignages /////

« Il faut faire preuve de résilience, de courage et d’inventivité »

Témoignage de Nina Richaud, 32 ans, Nazairienne

« Je suis en reconversion professionnelle. En mars 2020, j’ai été acceptée au CESI de Nantes en formation Assistante Ressources Humaines, en alternance. Il me fallait encore trouver une entreprise pour m’accueillir en contrat d’alternance (la formation commençait en septembre 2020).

On était encore en plein milieu du premier confinement, et le CESI avait mis en place des ateliers spéciaux, en visio, pour nous accompagner dans notre recherche : travail du CV et de la lettre de motivation, démarchage téléphonique, création d’un réseau sur Linkedin…

Dans ce contexte particulier, nous n’avions les uns et les autres pas de réponse à nos candidatures, mais nous nous disions qu’une fois le confinement terminé, la vie reprendrait son cours, et que notre recherche aboutirait rapidement. Jai donc continué mes démarches tout l’été, en mettant en application les conseils des intervenants du CESI. Même si j’avais davantage de réponses, elles étaient toujours négatives, souvent parce que les entreprises cherchaient des candidats avec plus d’expérience, ou avec un plus haut niveau d’études, et qui seraient donc opérationnels rapidement même si cette alternance concernait des étudiants en première année…

En septembre, j’ai  intégré l’école sous le statut “Apprenti sans entreprise”, et j’ai pu commencer la formation, qui devait être sur un rythme d’une semaine de cours par mois et de trois semaines en entreprise. L’école a fait un effort en me laissant, comme à tous les étudiants de plus de 29 ans, jusqu’à novembre 2020 pour trouver un contrat en alternance, les plus jeunes ayant jusqu’au mois de mars. La semaine d’intégration a été une bouffée d’air frais après tous ces mois passés devant mon ordinateur, enfermée dans ma chambre. Le fait de rencontrer de nouvelles personnes,  d’échanger sur nos projets professionnels, et de suivre des cours avec des intervenants passionnants, marquait vraiment le début de mon nouveau départ. Je me suis quand même rendu compte que dans ma classe, sur douze personnes, seulement trois avaient trouvé une entreprise.

Entre les semaines de cours, les intervenants ont continué à nous accompagner en visio dans notre recherche d’alternance, et même si cela m’aidait à garder une solide motivation et à diversifier mes méthodes de recherche, les réponses restaient négatives (soit parce que mon profil ne correspondait pas au poste, soit parce que l’entreprise, sans visibilité ou en télétravail, ne pouvait pas se permettre d’accueillir une personne en formation).

En octobre, la situation sanitaire a recommencé à se dégrader, et les cours sont passés en distanciel. Puis l’annonce du deuxième confinement est tombée, et pour mes camarades et moi, garder l’énergie et la motivation du début est devenu compliqué. En plus, nous n’avions qu’une semaine effective de cours en visio par mois, et les trois semaines restantes, nous passions nos journées à envoyer des CV et des lettres de motivation. Comme nous faisions des points en visio tous les soirs avec l’école pour partager nos démarches avec le reste du groupe, nous nous rendions bien compte que les choses n’avançaient pas. Malgré tout, nous restions solidaires et nous nous transmettions les pistes que nous avions.

En novembre,  le CESI m’a octroyé un mois de plus de formation, et donc un mois de plus pour trouver une entreprise, ce qui n’était pas négligeable. J’ai redoublé d’efforts, tout en préparant une deuxième solution pour ne pas rater complètement mon année scolaire (tout comme beaucoup de gens de ma classe).

Finalement, en décembre, j’ai dû quitter la formation. Cela a été une période dure, car j’avais misé beaucoup sur ce nouveau départ. Mon année n’est pas gâchée, j’ai rebondis sur mon plan B, et j’essaie de ne pas prendre cette expérience comme un échec. Mais elle a été extrêmement compliquée pour beaucoup d’étudiants, et en particulier pour ceux à la recherche d’une alternance ou d’un stage comme mes camarades sans entreprise qui, depuis, ont tous abandonné. Il faut faire preuve de résilience, de courage et d’inventivité pour atteindre nos objectifs, et cette crise est encore loin d’être finie. Malgré tout, je sais qu’on s’en sortira ! »

« Une mélancolie du quotidien »

Témoignage d’Hugo Beaujoin, 15 ans, collégien en 3e au collège Albert Vinçon de Saint-Nazaire, en stage à Estuaire Hebdo

« Cette crise ne touche pas uniquement les étudiants d’enseignement supérieur ou les apprentis. Les écoliers, les collégiens et les lycéens souffrent aussi de ce manque de liberté. Lors du premier confinement, nous étions ‘“heureux” de savoir les collèges fermés, nous nous imaginions presque en vacances. Sauf que le rythme, contrairement à ce que certains pourraient penser, était dur et nous a plongés dans une profonde solitude. Nous subissions une surcharge de devoirs qui ont poussé certains à délaisser leur travail scolaire, voire à décrocher. Je sais également les difficultés de certains troisièmes pour trouver un stage d’observation en milieu professionnel. De plus, une incertitude plane au-dessus de nos têtes lorsque l’on parle de Brevet, du Baccalauréat ou d’autres examens de fin d’année. Pour ne rien arranger, nous vivons avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et la crainte d’un nouveau confinement à la moindre maladresse de notre part. Tout ça nous a plongés dans une mélancolie quotidienne qui a très largement impacté nos capacités scolaires et notre résistance à la fatigue.

Sens de circulation dans les couloirs, absence de certains professeurs, port du masque : la vie collective, qu’elle soit amicale ou scolaires a été modifiée pour laisser place à un individualisme par classe. La restauration se fait par classe et réduit donc les échanges entre élèves. Il nous est déjà arrivé, avec un camarade d’une autre classe, de devoir mettre en place des subterfuges pour pouvoirs manger ensemble. L’enseignement sportif se fait en extérieur pour éviter les lieux clos, ce qui n’est pas sans déplaire à certains malgré les températures hivernales. Le fait de devoir mettre du gel hydro alcoolique en rentrant dans chaque classe a causé des problèmes de peau à des élèves. Et enfin, le port du masque, j’ai même oublié ou jamais vu le visage de certains camarades, le seul moment où il est autorisé de le retirer est pendant l’heure du repas, ce qui nous laisse un laps de temps réduit pour respirer correctement. Le blocus du lycée Aristide-Briand par les élèves début novembre 2020 nous a beaucoup marqués. Ils demandaient un dédoublement des classes, nous nous reconnaissions dans leur revendication et l’intervention policière avec ses 17 interpellations nous a profondément choqués.

Tout ça bouscule nos habitudes et nos certitudes, et engendre un “ras-le-bol” général.

Les professeurs ont eux aussi du mal à suivre le rythme entre cours en présentiel et virtuels, et sont parfois victimes de burnout. Ils étaient habitués à enseigner à des enfants, pas à des écrans. Et les élèves à écouter leurs enseignants plutôt qu’une voix grésillante. »

 

///// La jeunesse en chiffres /////

Trouver des indicateurs statistiques mesurant les conséquences de la crise sanitaire sur la jeunesse de Saint-Nazaire relève de l’impossible puisque aucune institution ou organisme n’a entamé un état des lieux. Reste en revanche la dernière étude de l’Insee en date de 2017 qui donnait déjà des éclairages. Au regard de ces chiffres, il apparaît que si la jeunesse se porte globalement bien, c’est elle qui est principalement victime de la pauvreté et du sous-emploi.

Les 15-19 ans représentent 18 % de la population à Saint-Nazaire alors que les retraités représentent 24 %.

Le taux de scolarisation des 15-17 ans est de 93,8 %, une situation en légère baisse en une décennie. Même constat pour les 18-24 ans : le taux de scolarisation est passé de 46,6 % en 2002 à 42,5 % en 2017. 

Le taux d’emploi des 15-24 ans est de 32,5 %.

Taux de chômage des 15-24 ans : 27,6 % pour les hommes et 32,9 % pour les femmes pour un taux de chômage global de 12,3 % en 2017 contre 9,3 % en 2002.

Taux de pauvreté : les moins de 30 ans représentent plus de 30 % de la population pauvre.

Source : Insee.