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[zoom] La femme de Tchaïkovski

(Russie 2023) drame de Kirill Serebrennikov avec Odin Lund Biron, Alyona Mikhailova, Filipp Avdeyev.
2h23.

Note de la rédaction :

Après la collection Leto (à traduire, été), sortie dans les salles obscures en 2018, le styliste du 7e art russe contemporain, orfèvre d’un cinéma dissident exilé à Berlin depuis le début de la guerre en Ukraine, taille l’âme humaine, ses tourments et obsessions dans le marbre. Avec cette main de velours propre à révéler tout l’éclat incandescent de ces diamants bruts. La nouvelle collection de Kirill Serebrennikov ne déroge pas à la règle, se jouant en tout état de cause d’une esthétique photographique brillamment automnale, sinon hivernale. Toujours avec cette impression que le jour, jamais, ne percera la glaciale grisaille, telle une poésie qui se meurt.  

Le gris, le noir, omniprésents, pluvieux, boueux comme ces gueux qui se vautrent dans les rues sordides de cette Russie du XIXe siècle, qui a tout d’une… cour des miracles ! Ce gris, ce noir, étroits, étouffants, brumeux, sans reflet… A l’image de ce couple que forment Piotr Tchaïkovski et Antonina Miliukova, dont le visage semble s’être pétrifié d’un voile de funérailles avant même qu’il n’eût à soulever le voile de “sa” mariée pour un baiser de convenance. Sonnant ainsi le glas d’une dévorante passion unilatérale !  

Car bien mal lui en a pris de s’être éperdument éprise de ce Tchaïkovski sans argent ni scrupules qui, à force d’ardentes avances, cède. Non par amour, plutôt par intérêt : percevoir la dot qu’elle lui a promise et faire taire les rumeurs qui courent sur son homosexualité. Un aspect qu’il s’est bien gardé de lui faire part jusqu’à ce qu’ils aient convolé en justes noces… funèbres ! Un mariage d’illusions qui signera l’arrêt de mort de cette jeune élève du Conservatoire, dévorée jusqu’à la folie par cet amour obsessionnel qu’elle voue à cet homme. Qui n’a eu de cesse de la rejeter, la renier, l’humilier, la bafouer. Elle qui l’aimait tant, d’un amour sincère et vrai, ô combien destructeur. Antonina en perdra son âme, s’ensuivra une véritable descente aux enfers psychologique et sociale.  

Kirill Serebrennikov met la lumière sur cette femme ombragée, peu connue, voire méconnue du grand public, du moins jusqu’ici ! Une femme belle, jeune, passionnément amoureuse qui s’entêtera toute sa vie à refuser le divorce, fantasmant à chaque instant son retour. De cette œuvre à la Tolstoï humainement tragique en ressort une fresque de douleurs, d’expédients, d’impuissances, digne des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature russe. Que le cinéaste rompt, par moments, avec une contemporanéité minimaliste, parfois onirique, souvent inattendue, et sans pudeur. A l’instar de cette scène anachronique où des corps d’éphèbes chorégraphiés dansent l’amour à mort !