Vivre sans voir, l’affaire de tous
L’association Les doigts sont nos yeux organise une journée de sensibilisation à la déficience visuelle, samedi 10 juin. L’occasion de porter un autre regard sur ce handicap. Rencontre avec Joseph Romano, un non-voyant sur le front.
« Le diabète a bouffé mes yeux mais pas ce que je suis. » A 52 ans, Joseph Romano perd la vue – « en quatre mois » – et voit fatalement sa vie basculer. Alors anesthésiste à Saint-Germain-en Laye, il passe « d’un homme respecté… à rien ». Même s’il avoue qu’« accepter a été long et difficile », Joseph n’est pas du genre à broyer du noir. Lui qui rêvait de bord de mer s’installe à Saint-Nazaire – il y a sept ans –, chante avec Les amis de la chanson, jardine, cuisine, bricole, joue du djembé… Une passion dont on peut difficilement passer à côté ; sa maison en est pleine, une vingtaine ! « C’est normal, je tenais une école de musique de percussions », confie cet amoureux de l’Afrique, « le rythme dans la peau », et le combat à bout de bras, qu’il porte avec l’association Les doigts sont nos yeux : sensibiliser les voyants.
Stop à l’infantilisation
« Car oui, on peut être aveugle ou malvoyant… Et capable ! Capable de couper sa viande seul, capable de faire du vélo seul, capable de cuisiner seul… » Et si Joseph insiste, c’est bien pour dire « stop à l’infantilisation ! Certes, vouloir nous tenir la main pour traverser la rue part d’une bonne intention, mais c’est nous mettre en échec. Faire les choses seul, c’est prouver que nous sommes encore dans le circuit. Que nous vivons, existons. Si quelqu’un fait à notre place, à quoi servons-nous ? » Une question cruciale qui devrait se dresser sur la table ronde du 10 juin, avec, au cœur du débat, le rôle de l’aidant et les difficultés organisationnelles des non-voyants. Mais à chaque problème sa solution. « Et elles sont nombreuses, ces solutions qui rendent notre quotidien plus facile. » Des moyens mnémotechniques aux aides technologiques : produits tactiles, en relief, tablettes numériques, et… « des stylos révolutionnaires qui nous permettent de lire un document, de choisir la couleur de son vêtement ou scanner les aliments… Des outils pour certains très chers, malheureusement », déplore Joseph. Chaque lundi, toute la journée, il se retrouve avec quelques-uns de la quarantaine d’adhérents de l’association nazairienne autour d’activités manuelles et autres loisirs à partager ensemble, comme la marche… « L’occasion aussi d’échanger nos soucis et nos petites astuces pour faciliter la vie de chacun. »
Journée de sensibilisation
En plus de la table ronde, la journée de sensibilisation à la déficience visuelle orchestrée par Les doigts sont nos yeux, en partenariat avec de nombreuses associations* ad hoc, sera rythmée par des ateliers découverte (informatique, chiens guides, parcours d’obstacles, découverte du tandem, etc.). Et par une rencontre avec Francis Gouban et Nicolaï Luciano, deux écrivains non-voyants qui viendront dédicacer leurs livres respectifs : Mes élèves sans visage, et Confrontation du handicap visuel au sein d’un parcours singulier. Cerise sur le gâteau, les membres de l’association organisatrice proposeront des pâtisseries maison à déguster… les yeux fermés !
« Il faut nous laisser faire. Si j’ai besoin d’aide, je demanderai. »
Joseph Romano, 64 ans, Nazairien, mal-voyant et « autonome ».
* Les chiens guides de Loire-Atlantique, Les amarres, Vélo club nazairien, Valentin Haüy, Retina France.