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Cinéma # Cinéville

[zoom] Anatomie d’une chute

(France 2023) drame judiciaire de Justine Triet avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner.
2h30.

Note de la rédaction :

Guilty or not guilty ? Telle est la question qui, durant 2h30, tiendra (plus ou moins) en haleine (c’est selon) le spectateur, convaincu ou non de la pertinence de cette Palme d’or qui ne cesse d’interroger, sinon de diviser. D’aucuns en prendront fait et cause, allant jusqu’à porter au pinacle ce drame shakespearien à la mise en scène proprement chirurgicale et au jeu d’acteurs irréprochable (enfin, des principaux !). Quand d’autres s’escrimeront à faire “le procès du procès du procès” de ce qui pourrait s’apparenter à un bon téléfilm bien de chez nous ! Chacun ira de sa frileuse ou éloquente plaidoirie. Qu’à cela ne tienne, la démocratie ne se nourrit-elle pas des divergences d’opinions ? Certes, on ne peut pas plaire à tout le monde, et assurément le 4e long-métrage de Justine Triet (La Bataille de Solférino, Victoria, Sibyl) ne fait pas l’unanimité. Il aurait même, à certains égards, de quoi agacer ! À l’image de cette tête à claques d’avocat général caricatural à la limite de l’insupportable. Ou encore de cette journaliste désespérément estampillée BFM TV. Ou encore de ce procès interminable à la rhétorique faussement jubilatoire et hautement manipulatoire. Ou encore de ces seconds rôles poussifs dépassés par la force du sujet, ou encore… Bref, sans cette accumulation de petits agacements successifs ; sans cette surenchère de joutes verbales indigestes servant à « brouiller les pistes pour que la fiction finisse par détruire le réel » ; sans cet acharnement à vouloir davantage autopsier la mécanique judiciaire (accusation/défense) que poser les projecteurs sur ce couple d’artistes/écrivains en totale perdition, ce docu-téléréalité version Faites entrer l’accusé aurait probablement gagné en consistance et empathie. La machine (judiciaire) avant l’humain, là où le bât blesse. On retiendra cette scène de dispute, mémorable, intense, déchirante, puissante qui cristallise toutes les tensions, souligne les imperfections d’une vie de couple, ses frustrations, ses déséquilibres, sa complicité mise à mal par un accident… LA scène du film, celle qui dissèque les états d’âme, celle qui ausculte les déchirures humaines, celle qui nous prend aux tripes. La seule de cette consistance. Et une actrice. Qui crève l’écran. L’insondable et ambivalente Sandra Hüller qui livre ici une performance magistrale, proche de la perfection. Comme son crime ? Si crime il y a…