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Cinéma # Salle Jacques-Tati

[zoom] Les feuilles mortes

(Finlande 2023) comédie dramatique d"Aki Kaurismäki avec Alma Pöysti, Jussi Vatanen, Janne Hyytiäinen.
1h21.

Note de la rédaction :

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle (…), les souvenirs et les regrets aussi (…), le vent du Nord les emporte (…) dans la nuit froide de”… Finlande. Décontextualisées, ces paroles chantées par Yves Montand – un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître –, auraient très bien pu s’inviter dans la playlist d’Aki Kaurismäki, casées entre une pop bjorkienne mortifère, un rock mal léché et des vieilles reliques sonores kitchissimes à souhait. Une bande son savamment décalée qui n’est pas sans faire écho aux états émotionnels traversés par Ansa et Holappa. La Cosette et l’Oliver Twist des temps modernes.  

Deux âmes en peine, deux gentils antihéros prolos broyés par la solitude, par ce monde impitoyable prêt à mettre à la porte, sans ambages ni ménagement, quiconque dérogera à la règle d’un capitalisme qui ne fait pas de cadeau, et manque cruellement d’empathie face à cette misère sociale qui ronge de l’intérieur. Holappa en sait quelque chose, lui, qui, chaque soir, va noyer ses déboires dans l’alcool, dans ces pubs sinistres où tout semble figé… Plans serrés sur des gueules cassées qui ne bronchent pas, stoïques, immobiles, d’une émouvante froideur qui touche en plein cœur, et qui en dit long sur les chemins parcourus, souvent chaotiques, parfois désarticulés, rarement tout roses. Plans larges sur des paysages industriels décrépis et autres lieux plus intimistes dont les ambiances ne sont pas sans nous rappeler celles imprimées sous l’ère communiste.  

Tout y est, des couleurs passées contrastant avec les verts, les bleus, les rouges vifs… Un tableau minimaliste, solitude des grandes âmes, épuré de tout matérialisme, un peu à la manière d’un Hopper ; des objets d’un autre temps, anachroniques à l’image de ces transistors plantés dans chaque pièce, comme pour rassurer ceux qui en douteraient que ce chef-d’œuvre de réalisme social, d’humanisme et de poésie est bien ancré dans sa contemporanéité… Le flot d’annonces macabres d’une nouvelle guerre en Ukraine qui en ressort nous y renvoie tragiquement.  

Si Les feuilles mortes se pare d’une esthétique photographique à couper le souffle – où la lumière, au gré de ce chassé-croisé amoureux tragico-comique, finit par s’échapper de l’obscurité –, les références au 7e art et à ses grands réalisateurs sont tout aussi délicieuses. Godard, Fritz Lang, Jim Jarmusch, Hitchcock assurément, Ken Loach naturellement et Chaplin, évidemment. Car empreint de dialogues certes modestes et discrets, mais croustillants d’humour…