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Cinéma # Salle Jacques-Tati

[zoom] Little Girl Blue

(France 2023) drame de Mona Achache avec Marion Cotillard, Marie Bunel, Marie-Christine Adam.
1h35.

Note de la rédaction :

Attention objet cinématographique non identifié ! Le 4e film de Mona Achache, Little Girl Blue, est vertigineux. Sa construction et narration uniques. L’enquête et la quête d’une fille pour tenter de comprendre pourquoi sa mère, photographe et écrivain qui a grandi dans le milieu littéraire des années 60, a mis fin à ses jours à 63 ans, sans mot d’explication, mais laissant derrière elle des centaines de photos, d’audios, de lettres, d’écrits… C’est cette énigme, l’histoire de leur relation, que Carole Achache lègue à sa fille Mona. Un puzzle à reconstituer à partir d’une montagne de documents que la réalisatrice épingle façon FBI et qui retrace le parcours entre errance et souffrances de sa mère. Cette enfant typique de la libération sexuelle de 1968, entre autres humiliée petite fille par Jean Genet. 

Entre film, fiction, documentaire et en…quête, la réalisatrice reproduit un exercice que sa mère avait fait sur sa propre mère. Arrière grand-mère, grand-mère, mère, fille, toutes les quatre ont écrit et enquêté sur leur génitrice. Reste que la forme cinématographique choisie par la réalisatrice pour retisser le fil invisible d’une filiation est inédite. De filles en aiguilles, elle cherche surtout à renouer le lien coupé trop tôt avec sa mère mais aussi à conjurer la malédiction dont seraient victimes les femmes de la famille. Refusant ce fatum, Mona Achache veut réaliser aussi un exercice de libération de la parole pour elle et pour les générations à suivre. Il s’agit bien pour la réalisatrice d’en découdre avec son roman familial, de se réparer de l’absence de sa mère et de se réconcilier avec le plus grand fantôme de sa vie, comme une thérapie. 

Mais là où la façon de faire est vraiment déroutante et atypique, c’est dans le rôle qu’elle assigne à Marion Cotillard – tout simplement stupéfiante – et à qui elle demande de devenir sa mère. La puissance d’incarnation de l’actrice est telle qu’elle se dissout dans le rôle de Carole Achache. Elle se fond en elle d’une manière assez rare au cinéma, notamment quand elle cherche au souffle près la manière de jouer en play-back les audios archivés par Carole Achache. On voit Cotillard se caler sur sa voix, apprendre ses interviews par cœur jusqu’aux moindres hésitations, se planter, recommencer… Un exercice très technique et complexe. Mona Achache signe aussi un magnifique document sur le travail d’une actrice. Elle donne à voir une métamorphose, voire une instrumentalisation, celle de Marion Cotillard dont l’interprétation lui vaudra assurément un petit prix…