Retour à la liste des films
Cinéma # Cinéville

[zoom] Pauvres Créatures

(Irlande, Royaume-Uni, États-Unis 2024) comédie fantastique de Yórgos Lánthimos avec Emma Stone, Mark Ruffalo, Willem Dafoe.
2h21.

Note de la rédaction :

Hormis le chapitre cliché sur Paris, capitale de la débauche où les scènes de sexe sont répétées ad nauseam, le dernier opus de Yórgos Lánthimos remue. Adapté du roman d’Alasdair Gray, on y retrouve les audaces formelles et les thèmes chers au cinéaste grec. L’usage du fisheye, cet objectif déformant pour symboliser un monde difforme, ou son obsession du rapport entre humanité et animalité. Dans son conte gothico-baroque peu orthodoxe, les animaux sont devenus des êtres hybrides. Ici un coq-chien, là une oie-chat…, tout un monde de monstres qui évoquent la tête de speakerine greffée sur un corps de chihuahua de Mars Attacks ! Ces animaux mutants sont traficotés par un autre monstre – sacré du cinéma (Willem Dafoe) – lui-même victime d’un père qui en a fait un objet d’expérience scientifique. Par atavisme sans doute, voilà que ce savant fou balafré et recousu de partout reproduit avec Bella (Emma Stone) ce que lui-même a subi. Tel le docteur Frankenstein, Godwin Baxter que Bella surnomme… God ressucite une femme à laquelle il donne le cerveau de l’enfant qu’elle attendait. Non content de lui imposer ce retour à la vie, il enferme sa créature chérie. Car le pygmalion n’a qu’une crainte : que la belle Bella ne se frotte au monde extérieur. Reste que « les jolis papillons ne vont pas voir ailleurs quand on ne les met pas en prison ». Car, lorsque le bellâtre sulfureux (Mark Ruffalo) lui offre l’occasion de s’affranchir de son créateur, la grande poupée s’en saisit pour dévorer le monde… et quelques pasteis de nata au passage. Pour symboliser ce chapitre émancipation, le film bascule du noir et blanc aux couleurs saturées. Londres, Lisbonne, Paris, reconnaissables à leurs symboles, sont réinventées à travers des décors rétro-futuristes. Les célèbres trams jaunes lisboètes suspendus dans les airs deviennent ainsi mi-funiculaires micarrosses. Entre images trash et propos cash, le brocanteur du bizarre Lánthimos sème le trouble et la confusion. Dans quel monde sommes-nous ? À quelle époque ? Entre une Angleterre élisabéthaine et un futur fantasmé, toujours à la frontière du merveilleux et du monstrueux. Domination masculine, misère et barbarie, Bella va tenir tête aux hommes qui veulent tous l’enfermer. Elle connaît certes des désillusions, dont certaines évocations comme le combat des femmes pour l’égalité, la sororité entrent en résonance avec les luttes actuelles, mais elle ne lâche rien de ses désirs et de sa liberté. Et c’est à l’éclosion d’une chrysalide que le spectateur assiste. Bella serait donc une héroïne féministe du futur… antérieur ? Et finalement, qui de Bella ou des hommes sont les pauvres créatures ?