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Expos # Saint-Nazaire

Les Tanukis de Julie, entre légende et réalité augmentée

Uramado AR, une exposition de curiosités interactive et collective, onirique et sensorielle qui fait le tour du monde, de New York à Paris, de Tokyo à Buenos Aires, en passant par l’Afrique, Saint-Nazaire et la Brière ! Rencontre avec sa créatrice, Julie Stephen Ccheng.

Télérama, Les Inrocks, Médiapart, Étapes, Graphism… Julie Stephen Ccheng a fait de ses Tanukis “augmentés” les stars des médias. Ou inversement, s’ils ne font pas qu’un, in fine ! Tantôt animaux, éléments, objets ou humains, avec ces esprits farceurs, toujours prêts à nous jouer des tours, il faut s’attendre à tout ! Rendues célèbres par le film d’animation Pompoko de Isao Takahata, ces créatures polymorphes reconnaissables à leur look atypique (grands yeux ronds, ventre rebondi, chapeau de paille sur la tête, gourde de saké en bandoulière) et profondément ancrées dans la mythologie nipponne sont « vénérées comme des demi-dieux au Japon. Des icônes populaires ! Partout dans les rues, on croise des statues à leur effigie », raconte Julie, 34 ans, diplômée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris. Qui déjà, toute petite, se passionnait pour les contes et légendes des mondes entiers, et imaginaires. 

« Je rêvais d’être documentariste, je rêvais de voyager à travers les continents pour filmer les peuples, les cultures, les visages, les gens. » 

Alors, comme pour s’y préparer, elle s’inventait des histoires parmi les djinns, korrigans et autres yōkai et kamis, ces êtres mystérieux issus des folklores traditionnels, dont elle puise son inspiration. 

« Le spectateur, un Tanuki oublié » 

Des histoires qu’elle raconte, écrit, anime, dessine, à présent, autrement. À sa manière, avec art et sans manières, avec l’art (papier) et la manière (numérique), elle « filme la métaphore des êtres humains », l’étrangeté de l’être, de l’être étranger, de l’être soi face à ces petits démons de la forêt, invisibles, qui peuvent être nous. Et que Julie Stephen Ccheng rend visibles à nos yeux, en leur donnant corps, vie, grâce à la réalité augmentée. 

« Mais vous savez, ils existent vraiment. Les Tanukis sont là, parmi nous, réels. Ils oublient parfois d’où ils viennent, et continuent alors à vivre à nos côtés. Dans l’expérience Uramado AR, le spectateur est un Tanuki oublié. » 

Avec cette exposition sans frontières, la jeune designer et auteure, faiseuse d’une dizaine de livres-objets de curiosités, de livres-jeux « dont vous êtes le héros », invite les visiteurs, smartphone en main et appli active à l’envi, à découvrir « en famille, entre amis » lequel de ces Tanukis sommeille en eux… Au total, 48 personnages créés de toutes pièces (12 Tanukis de jour pour les animaux, 12 Tanukis de nuit pour les éléments + 24 têtes et masques animés)… 

Quel Tanuki pour Julie ? 

Dans cette balade immersive qui mêle intimement le réel au virtuel, dans cet univers coloré, à l’ambiance dark crépusculaire et aux « paysages un peu bizarres, surréalistes, voire mystiques », on y rencontre le chat, « le chouchou des petits », l’ours, le renard, le mouton, le chien, le raton laveur… Pas étonnant ! Dans la vraie vie, le Tanuki est un chien, dit viverrin, sosie du raton laveur, un chien sauvage d’Asie orientale, millénaire, chassé pour sa fourrure.
Alors ? La question se pose… Quel Tanuki pour Julie ? La première à s’être évidemment prêtée au jeu, avant que cette exposition ne sorte en 2017 de son atelier parisien « à l’état d’expérimentation », pour le musée de la Chasse et de la Nature à Paris, et ne vienne habiller les 18 vitrines de la maison Hermès à Tokyo. On s’impatiente ! 

Eh bien, ce sera « le buffle de terre. Qui me correspond bien, j’avoue ! Il aime beaucoup manger, il est terrien, dans le contrôle, il mène bien sa barque et a les pieds sur terre. » 

14 pays, 300 expos en 5 ans 

Et ça, Julie, elle les a, les pieds sur terre. Le succès rencontré par Uramado AR, la version (aboutie) chasse aux trésors en réalité augmentée, aurait pu lui monter à la tête. 14 pays, 300 expositions depuis 2019, dans des lieux aussi prestigieux que populaires – « en Chine, ils ont carrément créé un parc d’attractions ! » –, une appli traduite dans 7 langues, une presse dithyrambique, un livre sorti en 2022, un live VJing (vidéo-jockey), et à venir, une série de 26 épisodes de 3 min… De quoi perdre pied. Que nenni. Julie reste connectée à la réalité : « Un article dans Télérama, c’est chouette. C’est une validation. Mais je vois ça avec un œil très distancié. » Julie reste connectée au papier, à l’artisanat, au fait main, au concret, et à son public, sa raison de créer. « Son impression vaut tous les articles du monde ! Et quand il se sent touché, rien ne me fait plus plaisir. » 

« Uramadur signifie en japonais le “verso” du papier ou “fenêtre”.
Une fenêtre ouverte sur un monde imaginaire, avec ce téléphone qu’on utilise comme une fenêtre numérique.
Et c’est ainsi, aussi, qu’est traduit le film d’Hitchcock Fenêtre sur cour ! » 

Bientôt en Brière 

Un public avec qui elle partage, in situ, de visu, « quand [elle] le peut », lors d’ateliers animés. D’ailleurs, à l’occasion de l’exposition qui a lieu jusqu’à fin mai dans les médiathèques et bibliothèques de Saint-Nazaire Agglo, Julie sera présente le 23 février à Saint-Nazaire (17h30), où se trouve une partie de ses attaches familiales, le 24 à Montoir-de-Bretagne (10h30) et à Saint-Malo-de-Guersac (15h), pour découper, coller, dessiner, fabriquer des paper toys, des masques… « Et jouer avec le côté tangible. J’ai testé la réalité virtuelle, une expérience solo, 100% numérique. Moi, je préfère entremêler, mélanger le papier au virtuel, le réel au merveilleux, réunir les atouts de chacun. Qu’il n’y ait pas de limite entre eux. Et puis, une certaine préciosité se dégage dans l’objet physique qu’on ne retrouve pas dans le numérique », confie-t-elle, tout en affirmant être « une grande défenseuse du numérique ». 

Un père cambodgien, une mère canado-hongkongaise, monteuse-réalisatrice dans le cinéma et un frère réalisateur de films d’animation… Pour Julie Stephen Ccheng, filmer, « c’est dans les gènes ! » 

 

À la rencontre des maoris 

Uramado AR est un « projet en brique, déclinable à l’infini, si on me laissait faire ! » Mais l’illustratrice-chercheuse a d’autres univers à explorer, expérimenter, sans cesse en quête « de nouvelles mécaniques de narration, d’interaction, d’usages ». Cet été, elle partira en résidence en Nouvelle-Zélande, au pays des Maoris, s’imprégner, s’inspirer, aspirer les fragrances, les cultures, les traditions ancestrales. Pour offrir une autre définition de la création, de la nature, du spirituel… Pour ouvrir le soi à l’autre, l’autre à soi. L’autre, l’étranger, vous savez, cette étrange créature qui rôde, invisible dans les forêts… Et qui nous ressemble tant ! Avec ou sans réalité augmentée…