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Chroniques # Saint-Nazaire

À l’encre de ses yeux

Dans son nouvel ouvrage, édité par l’association Mémoire et savoir nazairiens, Francis Gouban revient sur sa vie sans voir. Une vie semée d’embûches et de grandes victoires…

Après Mes élèves sans visage, paru en 2022…, Au-delà de mes yeux qui relate une vie profondément bousculée, tourmentée par le handicap…
Oui, ce fut un grand choc pour mes parents, des petits paysans des Deux-Sèvres, de voir leur fils perdre, petit à petit, la vue, si jeune. J’avais 6 ans. Un choc doublé d’un sentiment d’injustice. Pire, de culpabilité. De ne pouvoir agir, de ne pouvoir lutter contre, contre cette fatalité. Je suis né 100 ans trop tôt ! À l’instar de mon frère qui, quatre ans après moi, devenait aveugle, lui aussi. Aujourd’hui, avec la thérapie génétique rétinienne, les choses auraient pu être bien différentes. Mais vous savez, quand cela m’est tombé dessus, je ne mesurais pas l’étendue de cette cécité qui allait bouleverser ma vie, ni les conséquences à venir… 

Et quelles en furent les conséquences ?
Aujourd’hui, on parlerait de harcèlement. À l’école, enfant, j’ai été victime de quolibets, de mots blessants… On me lançait des boules de neige, personne ne jouait avec moi. Je l’ai très mal vécu. Et encore à mon âge, à 77 ans, le souvenir de ces moments de rejet, d’humiliation résonne en moi comme un profond goût d’amertume. Les mentalités ne changent pas, ou très peu ! Quel que soit le handicap, il y a encore beaucoup à faire, beaucoup à lutter pour qu’enfin, on cesse de jeter l’opprobre sur ces enfants et ces adultes qui ne sont en rien différents de vous, de lui, d’elle, de l’autre. 

Un livre qui tord le cou aux préjugés ?
Mieux. Qui prouve que, même en situation de handicap, on est capable de déplacer des montagnes. J’ai été le premier en France, et de l’académie de Nantes, à suivre mes années lycée en milieu ordinaire. Un vrai défi, au même titre qu’enseigner, en tant que professeur agrégé de Lettres modernes, ma femme toujours, en classe, à mes côtés ! Pas simple parfois, mais, je peux vous dire, avec le temps, et en toute humilité, avoir été tout aussi efficace que mes collègues voyants. Quant à mon frère, il a été directeur d’une école de kiné.  Nous sommes les arbres qui cachent la forêt. Des exceptions. 

Des exceptions ? Parce que vous avez fait de votre “handicap, une force” ?
Oui et non. Non, parce qu’on a beaucoup travaillé. Oui, car le handicap, pour le dominer, l’assumer, le transcender, vous donne une certaine force de travail. Comme une compensation.  

Sans le braille, auriez-vous réussi de la même manière ?
Non, le braille est essentiel. Les techniques audio et l’inclusion ne suffisent pas. Sans la maîtrise parfaite de cette méthode, on peut être vite pénalisé. Louis Braille est aux aveugles ce que Mozart est à la musique : un génie.