[zoom] La mère de tous les mensonges
(Maroc 2024) documentaire de Asmae El Moudir.
1h37.
Dans ce vieux quartier de poche de Casablanca où s’animent des poupées en argile, on y entre sur la pointe des pieds, un chouïa incertain. On se dit, l’instant d’une seconde, d’une poignée de secondes, que ces secondes risquent d’être longues ! Pourtant, c’est bouleversé que l’on ressort, et certainement pas indemne, de cette fresque familiale livrée à huis clos et bas bruit. Chuuut, fait comprendre silencieuse, la grand-mère – en balayant de ses doigts ses lèvres sans âge –, à sa petite-fille qui, caméra à l’épaule, veut tout entendre. Tout comprendre. Tout savoir. Interroger les souvenirs étouffés, les mémoires blessées, les âmes souillées, dynamiter les non-dits, réveiller les traumatismes, traquer le passé pour l’exorciser, le panser, pour penser (peut-être autrement) l’avenir. Quitte à bousculer, et mettre le doigt là où ça fait mal. Très mal. La tragédie est rarement indolore !
Et la jeune cinéaste Asmae El Moudir, qui joue ici son propre rôle, sait où elle s’immisce en voulant revenir sur cette page tragique de l’Histoire du Maroc. Une page occultée, censurée, oubliée, taboue dans les foyers. Chuuut, fait comprendre silencieuse, la grand-mère, dictatrice en son royaume où seul trône le portrait d’Hassan II, la seule photo (de famille) qu’elle n’a pas brûlée ! Comme pour ne laisser ainsi aucune trace de ce « massacre, de cette boucherie », et de son passé, qu’on ne peut dévoiler ici…
Ici, où la parole taiseuse se libère, douloureusement, elle devient bavarde par ces poupées animées, fabriquées par le père, habillées avec minutie par la mère, toutes façonnées à leur effigie. À l’effigie des voisins, des prisonniers, des morts, de tous les habitants de ce vieux quartier de Casablanca qui a vécu des heures sombres. Dans ce décor miniature, théâtre de vie, théâtre de scènes de crime, l’histoire se raconte, telle une fable, plus aisément, se dit, se soigne, telle une thérapie familiale, avec force, magnificence et créativité. Car ce film qui a reçu, à juste titre, le Prix de la mise en scène dans la sélection Un Certain Regard au festival de Cannes, est un petit ‘Ocni”, objet cinématographique non identifié, qui oscille entre le documentaire et le film d’animation… Hybride, original, émouvant, touchant.
Bouleversant, pour de vrai !