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Cinéma # Salle Jacques-Tati

[zoom] Le mal n’existe pas

(Japon 2024) drame de Ryūsuke Hamaguchi avec Hitoshi Omika, Ryo Nishikawa, Ryûji Kosaka.
1h46.

Note de la rédaction :

Il est des films, comme ça, insaisissables, qui nous plongent dans un état de lévitation semi-chaotique, dans une sorte de méditation réflexive brouillonnée où peine à s’échapper un avis tranché. Peut-être est-ce là que souhaite nous emmener Ryūsuke Hamaguchi, dans ce maelström où se percutent, avec lenteur, réel et fantastique, suspens et poésie. Quitte à perdre pied, un peu, parfois…  

Une ode à la contemplation, à l’intemporel, un arrêt sur images auréolé d’une bande originale merveilleusement dissonante, envoûtante, angoissante qui nous fait nous envoler, dès les premières minutes, jusqu’à la cime des arbres, estampes sylvestres magnifiées par un plan qui prend le temps de prendre le large !  

Des plans-séquences qui prennent le temps d’une pause, d’une respiration, d’une imprégnation, d’une “prière” rurale, entrecoupés de plans fixes qui s’invitent, bruts, à l’écran, nous tirant de notre torpeur. Nous arrachant de cette enveloppe nimbée de fragrances poético-écologiques dans laquelle on se love sans rechigner, comme pour briser net la magie qui s’opère sous nos yeux, et nous ramener à la réalité ! Celle d’un village aux us et coutumes ancestrales – dont le quotidien, lié à la générosité de Mère Nature, et l’équilibre environnemental qui en découle – sont menacés par le projet d’un glamping, contraction de glamour et camping !  

Les bobos de Tokyo rêvent de retour aux sources, de retour à la nature, à la terre, loin du chaos urbain, et les investisseurs, l’ont bien saisi, prêts à tout pour se faire de l’argent “facile”, et surfer sur cette vague bobo-écolo-tokyoïte post-Covid ! Et ce, à n’importe quel prix, quitte à polluer les eaux cristallines de la rivière nourricière, à détruire cet écosystème millénaire et à dévier le trajet des cerfs majestueux… Sans aucun remords, enfin presque ! 

Mais les locaux, eux, ne l’entendent pas de cette oreille ! Et encore moins Takumi, l’homme à tout faire du village, peu verbeux, mais qui n’en pense pas moins ! Il vit seul au milieu des bois, avec sa fille, toute de bleu vêtue qui, quand elle ne rentre pas seule de l’école, joue avec son père à identifier les arbres et les empreintes d’animaux gravés dans le sol. Une complicité glacée par une réflexion de la fillette qui cherche à combler
l’absence d’une mère qu’on ne découvre qu’au travers de photographies.
 

De cette mélancolie des âmes esseulées face à un monde qui se délite, qui se fracture, qui se perd, qui se fait mal et qui a mal, Ryūsuke Hamaguchi nous conte, à bas bruit, une fable écologique profondément humaine tout en beauté et en tragédie. Qui déroute, et nous laisse sur notre fin, sur nos fins !