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Chroniques # Saint-Nazaire

Benvenuto* dans l’enfer de la dépression

Cyrille Benvenuto sort son 2e long-métrage, Chrysanthemum. Un film doux/puissant et « très personnel » qui traite avec singularité, poésie et humour décalé, un sujet universel : la santé mentale. Rencontre avec cet acteur-réalisateur au style lelouchien, et comédien de longue date qui fait jouer Shakespeare et Ionesco à ses élèves sur les planches de Méan-Penhoët…

Il rêvait de danser à l’opéra (sept ans de classique). À 12 ans, il était fan de Gabin, Ventura. À 30 ans, le comédien, acteur, réalisateur « regardait entre 15 à 20 films par semaine pour étudier la technique ».

Trois ans qu’il vit dans « un décor de cinéma », rue de la Rampe, en plein cœur du Petit Maroc, l’âme de Saint-Nazaire, où tout a commencé, un concentré d’histoire… Et c’est dire ! Depuis mi-mars, dans le cadre du projet d’aménagement de l’îlot maritime, des archéologues de l’Inrap** sont à pied d’œuvre. Cyrille Benvenuto a eu « cette chance de voir de [ses] propres yeux un crâne datant du Moyen Âge », entre autres ossements et sépultures découverts… À deux pas de son chez lui « provisoire », un petit studio, sans chichi… Accrochés au mur, les photos et les dessins d’Anouk, sa fille, quelques jouets par terre, un clic-clac, une table et deux chaises : « Pour trois, ça risque de faire juste, non ? Si vous préférez, il y a La Marine, pas loin ? », l’un des derniers cafés authentiques du quartier, son QG, semble-t-il. Ici, tout le monde le connaît, le salue, comme si ce Parisien d’origine stéphanoise faisait partie des meubles ! Ici, il se sent bien. Prendre ses cliques et ses claques ? Pas vraiment à l’ordre du jour, peut-on lire dans le marc de son café noir, la clope finement roulée en train de se consumer, et Cyrille, le regard plongé dans le vague comme pris par « cette lumière plein ouest » qui enveloppe le port, et dont il ne se lasse pas : « Cette ville est photogénique et sonore, elle m’inspire. En arrivant ici, je me suis cru à Berlin Est en 1984 », lance, sans vouloir porter ombrage, le cinéaste de 54 ans qui, n’y allons pas quatre chemins, « rêve » de tourner son prochain film dans la cité portuaire. Son 7e, en cours d’écriture, « qui n’aura rien à voir avec les autres »…  

Chrysanthemum, un sujet universel 

Les autres : un court, trois moyens, un long-métrage qui parlent de croisements amoureux, d’égarements sentimentaux, « d’êtres en suspension agités par leurs sentiments » complexes, un peu à la Lelouch, sa référence. Et d’êtres en proie à la dépression, le sujet, l’objet de son deuxième long, Chrysanthemum, qui sortira le 11 avril au Cinéville. Un film d’auteur, innovant, à part… À part, peut-être parce que Cyrille Benvenuto confie à l’écran une part de lui, cette partie « trash » de son existence qu’il nous livre  à cœur ouvert, sans tabou, sur cette terrasse de café… Cash : « La dépression, ça peut frapper n’importe qui***. La preuve… Moi qui me pensais invincible, je me suis retrouvé à terre. Inimaginable, et pourtant… » Durant quatre ans, il se retrouve impuissant à assister à « la déchéance morbide » de ses parents. Une double peine qui aura eu raison de lui. En 2017, il « atterrit » à l’hôpital Saint-Anne dans le 14e à Paris, « section 14 ». Il est atteint de dépression psychogène. Dix-huit mois passent sans croire à une possible résurrection : « J’étais shooté, comme mort-vivant, ma vie n’avait plus de sens. » Jusqu’au miracle, l’arrivée future d’un bébé… Anouk. Qui le fait réagir, et lui donne envie de se battre. Il « s’interdit alors de mourir ». Élevation-prod, créée en 2002, est renommée Les films d’Anouk, prénom qu’il se fera tatouer sur sa main gauche, une lettre sur chaque phalange. 

Chrysanthemum, un film à part, singulier. Cyrille Benvenuto (à droite) y incarne le personnage principal avec force et justesse. 

 

Chrysanthe“mum”, une thérapie  

En 2020, six hospitalisations plus tard, il sort de l’enfer plus que jamais décidé à croquer la vie à pleines dents, et reprend un scénario délaissé en 2015… Avant que ne fleurisse Chrysanthemum, chrysanthème en latin. Le cheminement d’un quinqua foudroyé par la perte de ses parents… Une histoire qui a comme un goût de déjà lu, non ?  « C’est mon histoire romancée. Je me suis nourri, inspiré de ma vie pour l’écrire, avec des choses en moins pour éviter de tomber dans le pathos, le too much, et beaucoup d’autres inventées. Des choses que je ne ferai jamais dans la vraie vie, fort heureusement ! » Comme ?… Chut. Chrysanthemum est une comédie dramatique où « l’on enterre ses peines dans son jardin avant qu’en avril il ne soit jonché de fleurs splendides », pour reprendre, pas forcément à la lettre, la citation de Khalil Gibran. Un ovni singulier de 2h20 où la musique – de Bach, Mozart, Schubert et d’autres – devient « un personnage à part entière, j’y tiens ». Une « vraie thérapie » pour Cyrille qui incarne son lui imagé, et « un espoir » –  à insuffler –, pour ces personnes cabossées par la vie. Qui se retrouvent au fond du trou. Un film puissant qu’il dédicace à sa fille, à son père. Mais pas à sa mère… Pourquoi ? « Pour le savoir, il faut aller voir le film ! »  

* Bienvenue en italien. Cyrille est né d’un père sicilien ouvrier
** L’Institut national de recherches archéologiques préventives
*** 280 millions de personnes ont été touchées par la dépression dans le monde, en 2019, selon l’Organisation mondiale de la santé
 

///Cours de théâtre  

Après une formation au conservatoire d’art dramatique de Créteil, Cyrille Benvenuto a intégré pendant des années la compagnie de théâtre La Strada à Paris, en qualité de comédien et intervenant théâtre.
Aujourd’hui, il donne des cours de théâtre à la
Maison de quartier de Méan-Penhoët, une section adultes, une autre ados, avec une représentation programmée en juin. Pour la rentrée, il souhaiterait proposer quatre ateliers.
Insc. 06 85 32 67 24.