[zoom] L’Étranger
(France 2025) drame de François Ozon avec Benjamin Voisin, Rebecca Marder, Pierre Lottin.
2h.
Ozon ose, et c’est, trois petits points, à la ligne,
une œuvre d’art à part… entière. On pense forcément à Ida, film polonais sorti en 2013, la quintessence du noir et blanc côté 7e art. On pense forcément à Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis et tous ces génies qui, chacun dans leur genre, ont su manipuler avec maestria ombre et lumière… L’Étranger d’Ozon se révèle telle une invitation introspective à photographier l’indifférence, l’étrangeté, sinon l’apathie face à ce qui nous entoure. L’Étranger d’Ozon se révèle tel un voyage visuellement poétique au royaume de l’Absurdie camusienne. D’une esthétique visuelle à couper le souffle, il offre au regard une version picturale du monde qui défile alors sous nos yeux avec une douceur malaisée, et défie qui voudrait le contredire ! Un blanc presque religieux qui vient adoucir la noirceur des âmes, un noir profond qui vient renforcer la dureté des cœurs. Un noir et blanc majestueux, presque solennel pour souligner l’absurdité de l’existence, la matière première de Camus ici portée au pinacle par Meursault. Meursault, « ce monstre froid, cette âme sans cœur » qui jette au monde son regard taiseux, détaché de tout sentiment ici incarné dans la chair par un Benjamin Voisin charismatique, tout en muscles, qui prend tous ses aises à l’écran !
Ozon ose, et c’est trois petits points, à la ligne,
comme un air de déjà-vu. Qui ne se souvient pas de l’adaptation de Visconti n’aura qu’à pénétrer dans celle d’Ozon. S’il n’est question d’une pâle copie stricto sensu, disons qu’Ozon semble s’y être un tantinet inspiré, à la différence que le cinéaste français a jugé bon de s’affranchir de la version littérale dans laquelle son homologue italien s’est quant à lui intégralement engouffré, fidèle au livre. Comment ? En y incluant des images d’archives et, point non négligeable, en considérant le passé colonial. Ici, la place de « l’Arabe » y est tout entière rendue, à juste titre. Ici, « l’Arabe » est visible, personnifié, nommé, humanisé. Et chose inattendue… Ozon ose, encore. Ose introduire le film non pas par l’incipit le plus célèbre : « Aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais plus… », mais par « J’ai tué l’Arabe. »
Ozon ose, et c’est, trois petits points, à la ligne,
l’audace, sans grand éclat. L’éloge de la lenteur, sans ce sel qui vient vous piquer dans votre torpeur. On gardera à l’esprit quelques scènes qui deviendront d’anthologie, comme celle où les corps s’entre-
lacent au milieu de l’océan, sublime. Nonobstant l’image délicate, pleine de poésie, cette adaptation s’écrit en demi-teinte, jolie à regarder mais pas très originale dans sa velléité contemporaine. Le tout exalté par une capsule sonore sur le qui-vive, qui met en alerte, en émoi, à l’image du personnage principal : énigmatique, troublant, intrigant… Car Ozon ou pas, Meursault reste Meursault : un étranger pour les autres, un étranger étranger au monde, un étranger étranger à lui-même, si l’existence a un sens ! Alors Ozon, osons, osons pas ? À vous de voir…