[zoom] L’empire de l’or rouge
(France 2017) documentaire de Jean-Baptiste Malet et Xavier Deleu. Durée : 54 min.
Le concentré de tomate… Comment imaginer la guerre économique que se livrent industriels et investisseurs autour de ces petites boîtes à l’air si inoffensif ? Quel juteux commerce international alimentons-nous quand nous tartinons notre pizza de cette pâte sucrée aux couleurs provençales ou italiennes ? C’est ce que nous montrent à voir Jean-Baptiste Malet et Xavier Deleu à travers une enquête qui les a menés durant deux ans du Xinjiang à la Californie en passant par les Pouilles, dans un périple international où le petit fruit rouge dessine une histoire concentrée elle aussi des variables d’ajustement du système capitaliste de l’agroalimentaire.
“Le monde est notre champ”, tel était à Pittsburgh le slogan de Heinz, pionnier de la nourriture industrielle avec son fameux ketchup et sa soupe Campbells, symbole de l’apparition du travail à la chaîne et des traders du commerce alimentaire. Aujourd’hui, quatre puissances se partagent la sauce, se livrant une guerre sans merci : les USA, le Canada, la Chine – même si les Chinois ne consomment pas de sauce tomate – et l’Italie tout de même.
Entre culture intensive, délocalisations et redélocalisations vers les pays aux plus bas salaires, ventes d’usines et de savoir-faire contre ventes de production, packagings mensongers, l’or rouge cache bien son goût de sueur et de misère. Aux Etats-Unis et au Canada, les machines et l’informatique ont remplacé les bras des cueilleurs pour plus de profit, la plus grande usine du monde tournant avec 70 salariés, qu’importe la mise au chômage de 50 000 personnes.
En Chine, on fabrique dans des usines achetées clés en main aux Américains des barils de concentré aux additifs douteux qui ne figurent pas sur les étiquettes des cinquante marques qui inondent le monde, dont l’Afrique, continent où la main-d’œuvre est encore moins chère et où on commence à construire des usines aux dépens de Chinois déjà exploités. Et l’effet domino continue avec des petits producteurs de tomates africains submergés par les importations, et qui émigrent… dans le sud de l’Italie, où ils cueillent dans des conditions d’esclaves les tomates italiennes qui deviendront coulis… aux mains de multinationales et de la mafia.
Pauvre tomate sur laquelle les marchés ont fait main basse, pauvres consommateurs bernés qui ignorent ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, pauvres cueilleurs miséreux dont on aimerait pourtant pouvoir se passer. Le voyage planétaire du petit fruit devient obscène, les spaghettis amers. L’empire de l’or rouge est un documentaire hautement pédagogique, qui détricote avec rigueur le fonctionnement d’un système hors sol, hors humain, à la seule devise : profit. Le prochain objectif ? Que les 1,386 milliard de Chinois se mettent à consommer du concentré de tomate… L’homme is money pour les gagnants de la globalisation.
Pour aller plus loin
L’Empire de l’or rouge : enquête mondiale sur la tomate d’industrie, livre de Jean-Baptiste Malet paru en 2017 (éd. Fayard), prix Albert Londres 2018.