Entrée des artistes (partie 1)
Réouverture des théâtres et des cinémas
"Mettre de l'art dans sa vie et de la vie dans son art” (Louis Jouvet, 1938)
Après des semaines de fermeture, une brève réouverture, une nouvelle fermeture, les portes des théâtres et des cinémas devraient s’ouvrir à nouveau ce mardi 15 décembre. Malgré les inquiétudes, les adaptations sanitaires, le manque de visibilité et souvent de compréhension des directives, le chômage partiel, les annulations de spectacles, le casse-tête des possibilités de reports de représentations ou de sorties de films, les difficultés de remboursement de billetterie, la tristesse devant la mort annoncée de créations ou de tournées à peine entamées… malgré tout ça, artistes, techniciens, directeurs, programmateurs et tous les salariés des viviers de culture y croient toujours. Et sont encore aujourd’hui prêts à s’adapter une énième fois pour rester au service de la circulation et de la transmission des arts, de la création, et de leur public.
Tour de table des acteurs des lieux culturels du territoire de la Carene : Béatrice Hanin, Gérard Boucard, Aurélie Launay et Alexis Bonnery.
Retrouvez les interviews de Simon Lehingue, Xavier Herveau et Séverine Avignon dans la partie 2 consacrée aux cinémas.
« Nous avons une grande responsabilité, nous devons tenir »
Béatrice Hanin directrice de la scène nationale Le Théâtre, Saint-Nazaire
« Nous sommes inquiets depuis les annonces d’hier lundi 7 décembre et Jérôme Salomon qui a dit “On n’y est pas du tout”, alors nous attendons l’allocution du Premier ministre de jeudi soir, comme tout le monde, car nous avons le même niveau d’information que tous les citoyens et le public, par les médias. En attendant jeudi, nous nous sentons un peu comme la grenouille que l’on plonge d’abord dans l’eau froide, puis tiède, puis… Nous devions – je m’aperçois que je parle déjà au passé – recevoir trois spectacles avant la fin de l’année : Le Pied de Rimbaud, un concert de Blick Bassy, et Pillowgraphies que nous étions heureux d’avoir pu reporter, malgré les contraintes de jauge et le couvre-feu annoncé. L’équipe technique a repris le travail ce matin, très mobilisée, et là, elle est abattue. C’est un coup de gourdin sur la tête.
Nous n’avons aucune visibilité entre reports, changements d’horaires, annulations de reports, annulations définitive… Economiquement, ça va pour 2020 même si nous avons perdu 80 000 euros de billetterie*. Pour 2021, on ne sait pas. Le théâtre public vit de subventions croisées, entre Etat, Région, Département, Villes. Nous avons un soutien très fort de la Ville de Saint-Nazaire, pour le reste on est sur des inconnues. Et, surtout, nous perdons du public avec une baisse de 40 % de demandes de scolaires et la perte de spectateurs, entre compréhensible inquiétude des personnes fragiles et contraintes de jauge.
Les grands magasins sont pleins, on m’a dit que le Forum des Halles, qui draine des foules, était ouvert, et la culture est mise à mal, les structures, les intermittents, les compagnies sont impactées, il en restera des traces. Quant au public, il est privé de partage, de rêverie. Nous comprenons et respectons les nécessités sanitaires, mais il est étonnant que nous ayons le droit de nous amasser pour acheter, mais pas de nous retrouver pour rêver. Dans ce contexte, nous avons une grande responsabilité, nous devons tenir.
Si on pouvait ouvrir cette semaine, ce serait comme la magie de Noël ! Et espérons que 2021 nous fera basculer sur une bonne étoile. »
* Les recettes propres du Théâtre représentent 20 % du budget global.
« Les gens en ont marre des écrans »
Gérard Boucard, directeur artistique de Quai des Arts, Pornichet
« Le spectacle est une nourriture émotionnelle absolument essentielle. En septembre, nous avons reçu de nombreux témoignages de nos abonnés qui en avaient marre des écrans. Ils étaient heureux de revenir. La preuve :
on était quasiment complet à la réouverture. Mais pour ce deuxième confinement, nous avons dû annuler douze spectacles. Les personnes qui avaient acheté leurs billets auront le choix : soit se faire rembourser (avec un scan de leur billet et un RIB), soit bénéficier d’un avoir du montant d’achat qui sera valable jusqu’à la fin de la saison, fin avril.
Pour cette reprise, nous avons pu maintenir deux spectacles, dont un dont je suis particulièrement fier, NOU-GA-RO*, ce mardi 15 décembre, un magnifique hommage musical rendu à Claude Nougaro par trois artistes singuliers : André Minvielle, Babx et Thomas de Pourquery. Ils se produisent 6 à 7 fois par an alors qu’ils ont plus de 80 demandes chaque année. Comme ils font peu de représentations, nous n’étions pas sûrs de pouvoir les reporter.
Du côté de l’organisation, nous allons ouvrir notre salle plus tôt et accueillir le public à partir de 18h40. Les spectateurs peuvent être rassurés, le couvre-feu impose la fermeture à 21h, mais il n’y aura pas besoin d’attestation de déplacement, leurs billets servant de justificatif. Nous allons reprendre ce que nous avions mis en place en septembre, un siège vide entre chaque groupe de réservation dans la limite de 6 personnes. Je tiens à préciser qu’aucun cluster n’a été relevé dans les théâtres. Selon un rapport du conseil scientifique datant du 27 octobre, le risque est très faible. »
* A la parution d’Estuaire, il restait encore quelques places. Le spectacle de la conteuse Roukiata Ouedraogo, Je demande la route, est déjà complet.
« La saison culturelle reprend le 23 janvier »
Aurélie Launay adjointe à la culture, Espace A Cappella, Besné
« Nous rouvrons la salle – croisons les doigts –le 19 décembre avec un spectacle de Noël de la médiathèque George-Sand pour les enfants de 0 à 3 ans, Fantaisie polaire, de la Cie nantaise le Théâtre de 7 lieux*.
Nous espérons accueillir deux compagnies d’artistes lors de résidences courtes, l’une pour le tournage d’un clip, l’autre pour une création lumières, il est nécessaire de continuer à soutenir la création. Puis nous reprenons la saison culturelle le 23 janvier avec un seul-en-scène, Mudith Monroeevitz, de et avec Judith Margolin, l’histoire d’une femme qui se prend pour la réincarnation ashkénaze de Marilyn Monroe. C’est drôle, fantasque, de quoi entamer l’année en riant. »
* En septembre dernier, la même compagnie avait proposé un court spectacle, Le dôme des masques, à la médiathèque.
« Le public est prêt »
Alexis Bonnery, programmateur de l’Espace Renaissance, Donges
« C’est avec grand regret que nous n’avons pas pu reporter les spectacles programmés et finalement annulés. Les artistes dépendent d’une tournée, et les frais liés les empêchent de venir. Pour cette fin d’année, nous maintenons seulement les spectacles à destination des scolaires. Nous rouvrirons au public à partir du 15 janvier avec la programmation prévue. A moins qu’une troisième vague ne nous impose à nouveau une fermeture. Nous sommes très prudents. Lors de la reprise de la saison culturelle, nous avions réussi à nous adapter, le public aussi. Malgré les masques et ceux qui ont pu se sentir un peu mal à l’aise dans les places du milieu, les spectateurs ont au final vraiment apprécié. Le public est prêt et manifeste son envie de voir du spectacle vivant. Aussi allons-nous également rouvrir en janvier les résidences aux artistes pour leur permettre de se préparer à nouveau. »