Camille, la diva du Fournil insolite !
Camille Slosse, la soprano des opéras, a rangé dans une malle en coulisse partitions et habits de lumière pour laisser la scène à Camille Chapuy, l’artisane boulangère qui ose mettre la main à la pâte !

À 13 ans, Camille rêve de faire du saxophone, classe complète au Conservatoire ! Elle va voir ce qui se passe du côté de la porte d’en face, y entre…
Et les contrats s’enchaînent : « Je suis devenue chanteuse un peu malgré moi ! »
De l’opéra au levain, une voi(x/e) et une question d’éthique ! 2018, Porte de la Chapelle à Paris. Camille Slosse, de son nom de scène (et de jeune fille), chante pour les migrants. L’électrochoc. « J’ai su, à ce moment précis, que j’allais me diriger vers les métiers de l’alimentation. » Lequel ? Elle l’ignorait alors. Mais ce qu’elle savait déjà, Jules Renard aurait pu le lui susurrer au creux de l’oreille, un siècle plus tôt : « Oui, la musique comme la littérature, c’est bien. Mais elles ne nourrissent pas son homme ». Et si l’écrivain, par la suite, se targue de « n’avoir, par bonheur, pas très faim », Camille Slosse, elle, n’hésite pas à rétorquer : « Par malheur, les migrants pour qui j’ai chanté, eux, avaient faim, très faim. Et la musique n’y changera rien. Chanter ne leur remplira pas l’estomac. »
Entre les mondes
Ces deux mondes aux antipodes, la soliste soprano native de La Rochelle – qui a joué dans toute l’Europe, chanté dans toutes les langues, aux côtés des plus illustres, tels que Plácido Domingo, et en France dans les plus prestigieux opéras (Garnier, Bastille, Châtelet… ) – a souhaité les faire se rapprocher. Créer des ponts, des passerelles, via des projets de médiation culturelle. Dans les campagnes reculées, des hangars, des salles de basket, des écoles… En fait, « là où l’on ne s’attend pas, ou peu, à entendre résonner La Traviata de Verdi ou autres chants du monde entier, de Pygmées, de chasse ou de rites » sortis tout droit d’enregistrements d’ethnomusicologues conservés à la Bibliothèque nationale de France. Ces sons captés dans les années 1950 ont servi de base à Geoffroy Jourdain, éminent chef de chœur, pour donner corps et voix à L’ailleurs de l’autre, une création contemporaine pour quatre chanteuses. Une exploration vocale « plurielle, amusante, enrichissante » qui sort des sentiers battus et des tonalités codifiées propres à l’opéra. Un vrai challenge, car nombreux sont ceux à n’oser prendre ce virage, de crainte d’abîmer leur voix. « Ici, on cherche à faire du bel canto (beau chant en italien) autrement, avec des grincements, des claquements, des distorsions, des cris. On cherche l’universalité du chant pour toucher les gens au plus profond. »
« De la nourriture céleste à la nourriture terrestre »
Une œuvre vivante qui tourne toujours, « mais sans moi maintenant ! » Camille Slosse a troqué les paillettes et les robes de princesse contre du sarrasin et de l’eau… Pour se reconnecter à la vraie vie ! « J’étais comme hors sol. Le monde de l’opéra est un cercle restreint, élitiste. Il y a un côté très star et tapis rouge, on joue un rôle, tout est apparat. Je ne m’y retrouvais plus. » Puis le Covid est passé par-là, des posts sur Arte radio, la fin du confinement et « la trouille d’y retourner ! » Résultat ? Basta l’opéra, le RER C et buongiorno Saint-Nazaire où elle a posé ses valises il y a trois ans. Et eu sa grande révélation, après avoir accepté l’invitation d’une paysanne boulangère à mettre la main à la pâte ! Malgré ses a priori – « seulement 7 % de femmes diplômées, les horaires de nuit, etc. » –, elle fonce, décroche son CAP boulangerie, se forme chez Pains maritimes et s’apprête à ouvrir son petit – 47 m2 ! – Fournil insolite 100 % bio et local. En plus de fabriquer son pain en direct, Camille Chapuy, de son nom d’artisane, envisage d’organiser des ateliers autour du levain, de la nutrition… Et des instants découvertes en direction des scolaires. Rendez-vous au 9, rue de la Renaissance. La prima donna du pétrin ne pouvait pas tomber sur plus belle adresse !
2010, pour le 65e anniversaire de la libération de Ravensbrück :
« J’avais presque peur de marcher sur ce sol qui avait vu tant d’horreurs, j’ai cru que je n’arriverais pas à chanter tellement j’avais la gorge et le ventre noués… Y faire revivre collectivement l’œuvre si forte de Germaine Tillion (Verfügbar aux enfers) sur le lieu même où en 1944 elle l’avait écrite et cachée, a été rempli de sens pour moi. J’ai compris qu’on pouvait chanter non seulement pour divertir et émouvoir mais aussi pour porter des messages forts et surtout transmettre pour ne pas oublier… »
/// Son parcours
• A intégré le Conservatoire de La Rochelle : « J’ai 10 ans de piano, alto, chœur d’enfants derrière moi. Une force, car une fois chanteuse, je pouvais analyser, lire les partitions. Chose rare quand on rentre à l’opéra. »
• A étudié au Centre de formation pour jeunes chanteurs (Équilbey) du Conservatoire régional de Paris. S’est produite régulièrement avec la Cie des Brigands, Les musiciens du Louvre, le Théâtre du Châtelet, l’Opéra de Lille, Les cris de Paris (Jourdain) et en récital.
• A interprété une multitude de personnages, dont le Petit chaperon rouge (La Forêt bleue, Auber), Lise (Cyrano de Bergerac, Alfano), Cupidon (Orphée aux enfers, Offenbach), Frasquita (Carmen, Bizet), Annina (La Traviata, Verdi) et créé de nombreuses œuvres.