[zoom] Memory
(États-Unis 2024) drame de Michel Franco avec Jessica Chastain, Peter Sarsgaard, Merritt Wever.
1h40.
« Le cœur a ses raisons que la raison ignore ». Le dernier film du prolixe Michel Franco est une belle illustration de cet aphorisme de Pascal et une démonstration de la loi de l’attraction… Lors d’une soirée festive, Saul (Peter Sarsgaard) atteint de démence précoce, qui le prive de pans entiers de sa mémoire immédiate, s’approche d’une femme seule, Sylvia (Jessica Chastain). Elle le fuit illico. Mais il la suit, dans la rue, dans le métro, jusqu’en bas de chez elle où elle s’enferme à quadruple tour. Cet homme, un peu lunaire, que Sylvia pense ne pas connaître, prend racine sous ses fenêtres, la pluie glaçante et un lampadaire, dans un Brooklyn nocturne au froid hivernal. On ne sait pas trop pourquoi. Ni pourquoi elle n’appelle pas la police. Le spectateur est sur ses gardes. Il s’attend à tout moment au dérapage dont le réalisateur mexicain est coutumier. Ce beau mélo, qui réunit deux êtres en souffrance, ménage en effet une tension contrôlée à la perfection, tout en cheminant cependant vers la douceur et la tendresse. Car Memory raconte le lien qui se tisse entre ces deux-là, Jessica Chastain et Peter Sarsgaard, deux acteurs intenses et bouleversants.
Tour à tour fatiguée et résiliente, fermée et soudain prise de remords, Chastain est magistrale. Elle aurait même mérité un petit prix, à l’instar de Peter Sarsgaard, qui a remporté la coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine à la Mostra de Venise 2023 grâce à sa présence, imposante. Dans le bon sens du terme donc. Mais dès les premières images filmées en plan très serré, de profil de préférence, c’est pourtant Jessica Chastain qui crève l’écran. Celle qui est de tous les plans du film assiste dans cette scène d’ouverture à une réunion des alcooliques anonymes. Elle ne boit pourtant plus depuis 13 ans. L’âge de sa fille. Seul personnage semblant sain de corps et d’esprit, dépourvu de névroses grâce à une « mère formidable ». Même si cette dernière n’a selon sa propre mère pas été exemplaire… Loin de là. Une enfant à problèmes, même. Mais la mère de Sylvia l’a-t-elle été, elle, exemplaire ?
Memory joue de l’imbrication des deux sens du mot puisqu’il signifie à la fois la mémoire de celui qui la perd progressivement et la mémoire du souvenir de celle qui n’arrive pas à oublier. Même si le traitement de cette histoire d’amour flou surprend, en se tenant dans un équilibre délicat, au carrefour du naturalisme, du mélo voire de la comédie romantique, Michel Franco filme finalement la banalité d’un quotidien routinier où s’installe tout de même parfois l’ennui…