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Cinéma # La Toile de Mer # Salle Jacques-Tati

[zoom] Les graines du figuier sauvage

(Iran 2024) drame de Mohammad Rasoulof avec Misagh Zare, Soheila Golestani, Mahsa Rostami.
2h46.

Note de la rédaction :

Le régime autoritaire théocratique des mollahs a beau bâillonner, emprisonner, torturer, exécuter de manière sommaire toute âme réfractaire et ce, dans l’indifférence affligeante de la communauté internationale, ses opposants (pour celles et ceux qui respirent encore) ne fléchissent pas. Certains, comme le cinéaste Mohammad Rasoulof, sont prêts à tout pour porter haut et fort la bannière de ce qui est devenu plus qu’un slogan, le cri de ralliement des manifestants : Femme, Vie, Liberté, né de la mort en 2022 de Mahsa Amini, pour un voile mal ajusté.  

Prêt à tout, jusqu’à braver les montagnes (qui n’est pas juste une expression). Condamné (une nouvelle fois) à 8 ans de prison et 50 coups de fouet, le réalisateur iranien a dû fuir son pays, à pied, 28 jours de marche à travers les montagnes avant de rejoindre l’Allemagne, puis Cannes où son dernier film Les graines du figuier sauvage a reçu le prix spécial du jury. Une manière bien occidentale de se donner bonne conscience ? Assurément pas, au regard de l’intensité portée par cette œuvre cinématographique à la lisière du documentaire.  

Un film réel, plus politique que poétique, plus humaniste que prophétique nourri par ces vidéos de lynchage, par ces scènes de barbarie innommables prises en direct, sur le vif par les manifestants eux-mêmes à vif, qui n’hésitent pas, au péril de leur vie, à filmer sans filtre ni fake l’ignominie de la répression du régime ; le téléphone comme arme de défense, qui s’impose en un vrai contre-pouvoir à cette macabre dictature qui crève à la chevrotine les yeux de sa jeunesse, qui broie les âmes… Et divise, dynamite les familles. Comme celle ici que l’on découvre sur le grand écran, filmée dans le plus grand secret, sans autorisation aucune. Un film risqué, mais ô combien essentiel, un film de résistance qui nous plonge avec sobriété et puissance dans les paradoxes d’un Iran tiraillé entre modernité et archaïsme religieux. Paradoxes mis à nu par cette famille “bourgeoise” de Téhéran qui bascule…, après la promotion du père (qui coïncide avec la révolte des femmes) comme juge d’instruction au tribunal révolutionnaire et la disparition de son arme de service, au sein même du foyer. Sous tension. Dès lors, tout est permis…  

De ce (presque) huis clos familial qui vire au thriller paranoïaque, on retiendra le jeu, magistral, de l’acteur et des trois actrices principales qui ont dû fuir également l’Iran ; l’esthétique visuelle, pleine de grâce ; sa raison d’être, vitale ; son courage… Comme celui de son réalisateur, et de tous ces cinéastes qui osent braver la censure. Cinéastes et pas que. Qui résistent. N’oublions pas Narges Mohammadi, militante des droits humains et Prix Nobel de la paix 2023, actuellement derrière les barreaux – pour 12 ans – de la tristement célèbre prison d’Evin. Ne les oublions pas.