Le crépuscule (cartographié) de l’Aude
Douze ans qu'elle nous invite à nous inventer, et déjà une trentaine d’expositions, dans des lieux aussi prestigieux qu’underground, ici ou à l’international. Une carte blanche dans le magazine 303, et bientôt une expédition artistique en Brière, à la croisée des mondes du vivant.
Aude au milieu de son jardin refuge LPO où la nature est reine.
C’est une maison, on la dira bleue, adossée à la colline, celle qui vit ici n’a rien perdu de la quintessence de ses souvenirs. L’horizon à perte de vue, la forêt à proximité…, le terrain (de jeu) de prédilection de l’enfant sauvage du pays franc-comtois et « ô combien joyeuse ». Quand elle ne murmurait pas aux oreilles des renards, Aude Robert passait ses heures (jamais perdues), les yeux à terre, à explorer l’infiniment petit ; la tête en l’air, à observer l’infiniment grand. Macro, microscopiques, les matières à création de cette artiste hors piste à la fibre scientifique, le boîtier toujours en bandoulière à capturer le grouillement du vivant. Qu’il soit végétal, minéral, aquatique, aérien. L’enregistreur, toujours à portée de main, en quête d’une vibration unique, à arpenter les zones profondément humides. Qu’elles soient marécage, mer… et Brière.
Une Brière inspirante
La Brière, sa prochaine expédition artistique. Une terre qui l’inspire depuis son arrivée à Saint-Nazaire en 2019, d’abord pour y travailler son art au sein des ateliers du Château d’eau puis, pour s’y installer un an plus tard. Une terre luxuriante, mystique et crépusculaire qui l’attire… car « à peine pénétrable pour les humains, et riche en biodiversité », confie Aude qui, pour ce projet d’installation protéiforme (photo, dessin, vidéo, son, recherche), a reçu par la Ville de Saint-Nazaire une bourse d’aide à la création, et une autre de l’Adagp, société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques. Une Brière qui s’affiche, avec cette carte à grande échelle, jusque dans l’entrée de sa coquette maisonnette de Méan-Penhoët au sol bleu béton, un clin d’œil à ses origines ouvrières, et à tout ce savoir-faire naturellement hérité. Ancré dans son ADN, comme ce désir d’apprendre, intarissable, exponentiel, qui ne cesse de nourrir son œuvre… Après la couture, la botanique, le dessin d’espace, l’audio-naturalisme, le métier de projectionniste – ou avant qu’importe –, Aude expérimente le soufflage de verre, une technique qu’elle utilise pour créer des objets-outils et ainsi « dessiner la lumière, saisir l’insaisissable ».
Aux frontières de l’abstraction
Tout se trame là-haut, au 1er étage, dans son atelier, dans le silence de la nuit, quand le monde s’arrête. Pour seul compagnon, le vrombissement de son rétroprojecteur un peu âgé. Elle y pose ses tirages rhodoïds, et soudain sur le mur surgissent, se juxtaposent, se superposent, s’assemblent des formes qu’elle dessine à la mine de plomb, qu’elle rehausse d’aquarelles roses, bleues… De là naissent des mondes imaginaires, des mondes cartographiés aux desseins écologiques, philosophiques, parfois politiques, souvent poétiques. Des sortes de paréidolies aux frontières de l’abstraction qui nous font voyager dans un ailleurs qui devient nôtre : « Je ne cherche pas à imposer mon point de vue. Je crée des espaces où chacun peut y mettre, y voir ce qu’il veut », souligne Aude qui a passé 15 ans de sa vie entre Le Pérou, la Scandinavie, l’Asie, l’Islande, l’Australie… « à voir ailleurs si [elle] y était ! ». Et ce, juste après avoir décroché son diplôme de l’école nationale supérieure d’art de Dijon, promo Philippe Cazal s’il vous plaît, le maître du slogan qui portait « un regard bienveillant » sur le travail de la jeune artiste. Et comme rien n’arrive par hasard, l’une des œuvres dudit professeur, Les mots aussi, dédiée aux victimes de l’accident de la passerelle du Queen Mary, est installée depuis 2004 au jardin des Plantes, à Saint-Nazaire. Là même où Aude exposera, peut-être un jour qui sait, ses créations qui se lisent comme une invitation à la méditation. Un voyage contemplatif, organique et onirique à découvrir dès le 21 septembre au Pélican- ->S à Châteaubriant, le tout nouveau centre d’art, pour une exposition collective, intitulée Espèces de…