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Rendez-vous # Trignac

Les Forges majeures du patrimoine trignacais

Jalonnées de drames, de luttes sociales, de faillites et de liquidations judiciaires, les Forges sont indissociables de Trignac qui célèbre cette année ses 110 ans. Leur histoire, intimement liée à celle de la ville, est même à l’origine de sa création. Explications.

Parmi les bâtiments les plus emblématiques des Forges, la haute tour à charbon. Construite en 1932, elle ne fonctionnera qu’un an…

« Forges, ville, rugby, à Trignac tout est lié », déclare le président de l’Association trignacaise pour la lecture et la culture (ATLC), Freddy Legoff. La création du club de rugby a lui-même découlé des Forges. Né sous la houlette de l’un de ses ingénieurs chimistes, il a précédé de deux ans la naissance officielle de la ville. C’était en 1914. Comme son nom de l’époque l’indique encore, le parc des sports des Forges appartient… aux Forges ! « D’ailleurs, la ville doit tout à l’usine, même l’école », résume celui qui est aussi responsable de la maison du Patrimoine. « Avec l’installation des Forges, la population est passée de 400 à 3 000 en l’espace d’une dizaine d’années, attirant notamment de nombreux ouvriers étrangers. » La veille de la Première Guerre mondiale, la ville comptait quasiment autant d’ouvriers que d’habitants. La volonté des patrons de l’industrie étant de garder le plus proche de la ville et dans des logements appartenant aux Forges « les ouvriers qui y travaillaient 6j/7, entre 12h et 14h par jour, dès 12 ans », et dont beaucoup y laissèrent leur peau. Surnommée la “mangeuse d’hommes”, l’usine « faisait beaucoup de morts. Chaque famille était touchée », déplore le président. Ce n’est donc pas un hasard si les couleurs de Trignac sont le rouge pour le sang et la lutte, et le noir pour le deuil et le charbon. D’ailleurs, « ses cheminées crachaient tellement de fumée noire que le linge ne pouvait pas être mis à sécher dehors ». 

Trignac-la-rouge, Trignac-la-noire 

Les Forges, qui ont commencé à fonctionner dans les années 1879, connaîtront une durée de vie d’environ 60 ans. « Pendant quelques années, elles se sont même appelées Forges de Saint-Nazaire. Mais en réalité, il s’agissait plus de forges littorales, c’est-à-dire d’usines métallurgiques pour répondre à la demande des débuts de la marine en fer », précise Géraldine Joigneault de l’association La belle Industrielle. Ensuite, explique l’ATLC dans son bulletin spécial 110e anniversaire de la ville, « elles deviennent un complexe industriel réalisant un cycle complet avec des débouchés pour l’ensemble de ses produits : tôles pour les navires, rails des chemins de fer et tramways ». Les Forges, qui vont même fournir une grande partie des rails au métro parisien, « commercialisent aussi des engrais et des produits issus de la production sidérurgique ». Elles connurent également de nombreux mouvements ouvriers dont le plus célèbre reste celui de 1894, une grève très dure qui arrêta la production. En cause, « la décision du directeur de réduire les effectifs et les salaires des pruddleurs*. L’affaire prend rapidement un aspect politique qui deviend national à la mi-avril (…) » avec la montée au créneau de Jean Jaurès à l’Assemblée nationale. Plus tard, en juin 1933, entre deux faillites et reprises, pour sensibiliser les pouvoirs publics sur la crise dans les usines de Basse-Loire, les syndicats décident la marche sur Nantes, la fameuse “marche de la faim” partie de Saint-Nazaire. Pour mieux supporter ces conflits, les ouvriers s’organisent. Ils se constituent en Coop dès 1889 avec la société civile de consommation de Trignac. « Son objet est de fournir à ses membres des produits de consommation courante, viande, épicerie, etc. Ainsi débute l’histoire de la première coopérative de consommation de la région nazairienne qui combine le crédit populaire avec la consommation. » 

L’emprise de l’usine 

Aujourd’hui, il subsiste l’emblématique tour à charbon, qui fonctionna un an, la cokerie qui traitait la coke pour alimenter les hauts fourneaux, une petite partie de l’estacade, qui supportait le pont roulant, soit « à peine deux hectares sur les 90 qu’occupaient les Forges », rappelle Yves Ryo, qui coordonne la conférence du 19 septembre “Les Forges de Trignac, entre réalité et imaginaire”. Durement bombardées et détruites en grande partie les 22 et 23 mars 1943 par les Alliés, puisque réquisitionnées pour l’effort de guerre nazi, elles ne rouvriront jamais leurs portes. Elles seront démantelées dans les années 60 pour alimenter des sites du Nord et de l’Est de la France. 

La maquette, réalisée par l’ATLC au 1/1000e avec une imprimante 3D, témoigne de son emprise sur la ville (à voir du 18 au 23 septembre). « Elle a nécessité deux ans de travail à partir de cartes postales car beaucoup de vestiges ont disparu. » Ce site grandiose, très délabré et à l’abandon, est en outre devenu dangereux. D’où le promontoire inauguré au printemps pour pallier sa fermeture et donner une vue d’ensemble des Forges sur la ville jusqu’au pont de Saint-Nazaire par temps clair. Sur les grilles, en interdisant désormais l’accès, des panneaux indiquent quel sera l’avenir du site. « Un projet évolutif est programmé sur le long terme auquel sont associées l’installation d’une table d’orientation et la reprise des illuminations. Destinées à valoriser les Forges, elles seront de nouveau visibles de nuit depuis la quatre voies les 6 et 7 décembre », annonce Mireille Thibault du service culture et patrimoine de la ville. En attendant, Géraldine Joigneault proposera deux visites commentées du site le 22 septembre dans le cadre des Journées européennes du patrimoine (Jep) tandis que Freddy Legoff assurera des balades au cœur du centre ancien pour partir à la découverte de ces petites maisons d’ouvriers « qui font de Trignac les corons de Loire-Atlantique ». Exposition, conférence, visites, les JEP raviveront la mémoire de « ce patrimoine ouvrier et humain que l’ATLC a à cœur de mettre en lumière car il est un témoin de notre histoire économique, sociale et ouvrière, en lien avec la navale. Une histoire riche mais un peu méconnue », estime Yves Ryo qui rappelle que l’ATLC fêtera cette année ses 40 ans. 

* ouvriers sidérurgiques qui affinent la fonte pour la transformer en fer ou en acier