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Cinéma # La Toile de Mer

[zoom] La plus précieuse des marchandises

(France 2024) animation de Michel Hazanavicius.
1h21.

Note de la rédaction :

Même réalisateur, autre ambiance ! Après les vintages OSS 117, l’anti-glamour The Artist, et le zombiesque Coupez !, le multirécompensé Michel Hazanavicius change de fusil (ou de caméra) d’épaule pour traiter, sans jamais le nommer, un Sujet au paroxysme de ses neuf long-métrages passés, dont ceux, les plus populaires, ici sus-cités… Alors ne le nommons pas, le Sujet, et regardons La plus précieuse des marchandises avec tout le respect, et l’humanité qu’impose cette… précieuse et ô combien essentielle poésie animée, en cette ère erratique qui sent le relent amer. Certes, le Sujet, sous toutes les coutures a été convoqué, et examiné maintes fois. « Du déjà-vu », diront les malotrus. « Un devoir de mémoire, le devoir de rouvrir les pages les plus sombres de l’Histoire », diront les non-résignés, croyants optimistes de la non-résurrection des pires horreurs. 

Michel Hazanavicius fait partie de ceux-là, de ceux qui croient en l’intérêt même de faire vivre le Sujet. Et qu’importe la manière utilisée. Le principal, “le vital”, c’est qu’il est, et qu’il le restera, à jamais dans nos mémoires, gravé. Et qu’importe la manière dont on le fait exister. Qu’il soit radiophonique, documentaire, porté sur grand écran, dessiné, animé, conté, ou les trois (derniers) à la fois, le choix du cinéaste. Qui a opté pour le crayon (il a lui-même dessiné les personnages) et une voix-off – celle de feu Jean-Louis Trintignant, « la plus belle voix de l’histoire du cinéma français », confiera Michel Hazanavicius au micro de Tchi Tcha ! – pour narrer cette fable de Jean-Claude Grumberg, teintée d’oxymores. Vie/mort, beauté/laideur (de l’âme), lumière/noirceur, espoir/fatalité, innocence/déshumanisation… 

Une petite marchandise cinématographique délicate, sans pathos, glaçante par son Sujet, et par ces paysages enneigés dignes d’un décor de carte postale, si les trains de la mort, ces monstres cracheurs de fumée rouge sang ne venaient pas chaque nuit, chaque jour, en continu, s’engloutir dans les ténèbres sylvestres pour nous mener vers l’indicible. Là où Le Cri de Munch a beau crier, sans émettre le moindre son ; là où Le Cri de Munch a beau crier, sans que jamais on l’entende. A contrario de ces pleurs, des pleurs d’un bébé pensé « sans cœur », jeté de l’un de ces trains mortifères, avant d’être recueilli par une « pauvre » bûcheronne qui rêve de maternité, et d’un « pauvre » bûcheron, profondément antisémite… Sans cœur, lui aussi ? De ce récit fictif, mais tellement réel, de cet hommage sensible rendu aux Justes, de ce Sujet qui exhume toute la complexité de l’âme humaine, on ne ressortira pas indemne… Et c’est tant mieux, et ne serait-pas là, la plus précieuse des marchandises que l’on pouvait nous offrir ?