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Chroniques # Saint-Nazaire

Paroles de travailleurs en territoire pas inconnu

Parler du travail en le situant dans le territoire… Voici le projet mené depuis trois ans, auprès d’une quarantaine de salariés de la région nazairienne, par la compagnie Pourquoi se lever le matin. Rencontre avec Pierre Madiot, cofondateur du lycée expérimental, et orchestrateur de ces récits collectés, et lus à haute voix…

« Le débat sur le travail tourne trop autour de revendications, complètement légitimes qu’il faut absolument poursuivre et faire aboutir, mais ça ne dit pas tout. À force de s’enfermer là-dedans, on oublie l’essentiel qu'est cet engagement », souligne Pierre Madiot.

Ils étaient bien une trentaine, la semaine dernière, à venir écouter dans ce café d’un quartier de Saint-Nazaire ces récits de travailleurs, à haute voix lus par quelques membres du Centre de culture populaire avec qui Pierre Madiot et la compagnie Pourquoi se lever le matin qu’il chapeaute se sont naturellement associés pour faire exister, entendre ces témoignages. « C’était émouvant, raconte Pierre Madiot, et d’autant plus quand cette dame est venue nous dire merci, car fière d’avoir écouté quelque chose qui la représente ».  

La parole aux travailleurs 

Merci de donner la parole aux travailleurs. Qu’ils soient comme cette dame, femme de ménage, ou médecin, ou chômeur, ou commerçant, ou enseignant, ou paludière ou encore dépanneuse informatique… Au total, plus d’une quarantaine de salarié·e·s interviewé·e·s en trois ans, dans les locaux d’un syndicat, chez eux, chez elles, parfois même dans leurs entreprises, tous, toutes âgé·e·s entre 40 et 60 ans. Et si Pierre Madiot tenait à ne pas les « hiérarchiser », c’est parce que « tout travail est digne, noble et dit quelque chose de soi ». L’essence même de cette odyssée journalistique revisitée. « Ce sont des paroles en je » que l’ex-rédacteur en chef des Cahiers pédagogiques (durant cinq ans) recueille, retranscrit avec leurs silences, leurs hésitations.  

« À partir de cette matière, je construis une histoire, de telle sorte qu’elle puisse intéresser le lecteur, l’auditoire. Faut que ce soit agréable à lire, valorisant. »  

Une sorte « d’ovni » où le collecteur, ancien professeur de français, devient l’auteur du texte, mais non l’auteur des mots.  

Ici n’est pas comme ailleurs 

Un ovni narratif qui nous plonge au cœur de l’humain dans son travail…, et du territoire dans lequel le travailleur se définit. Au cœur de l’humain, par le fait que « l’on ne raconte pas une vie. On raconte un moment. Ce moment où l’on s’engage dans une activité. Où l’on prend conscience de la tâche effectuée au quotidien, du travail bien fait, et de la dignité qui s’en dégage. Dignité que le travailleur peut revendiquer, et ainsi peser sur le sens, l’organisation du travail. En France, il y a une verticalisation telle que l’ouvrier n’a rien à dire, or il a à dire ». Au cœur du territoire, car forcément, là où l’on est conditionnera notre façon de penser le travail. Que l’on soit à Cannes ou à Saint-Nazaire, la définition même du travail diffère. « Dans les ateliers d’ici, on ne fabrique pas les mêmes choses qu’ailleurs ; dans les hôpitaux d’ici, on ne soigne pas tout à fait les mêmes maladies, certaines plus fréquentes qu’ailleurs, comme par exemple celles dues aux flashs de soudure qui abîment la peau ; les élèves d’ici ne baignent pas dans la même culture qu’ailleurs », et ainsi de suite.  

Provoquer un choc 

Travail et territoire, deux entités donc intimement liées, imbriquées dans un tissu économique, sociologique, social et culturel. Il suffit d’écouter cette médecin urgentiste, basée entre La Baule et Saint-Nazaire, qui se confiait à Pierre Madiot, pour saisir la portée de cette union : « Ayant conscience de leur savoir-faire, les ouvriers de Saint-Nazaire se sentent légitimes dans leur domaine. Du coup, ils reconnaissent aussi ma légitimité de médecin et on entre dans un dialogue d’égal à égal ». Cette même médecin qui, par la force des choses – tertiarisation du monde ouvrier oblige –, a récupéré des patients de La Baule et Guérande. Du coup, « le rapport aux soins n’a plus été le même ». Une parole parmi d’autres qui fait depuis quelques semaines l’objet de lectures publiques (lire l’encadré), bientôt accompagnées d’un film photographique. Une parole, des paroles portées par, avec cette volonté forte de voir « se multiplier partout en France » ce genre de récit. Pour faire bouger les lignes.  

« Provoquer un choc, une prise de conscience et restituer cette fierté, cette dignité inhérente à tout travailleur. » 

// lectures à venir 

Samedi 1er février, bibliothèque vivante, médiathèque Étienne-Caux, de 14h30 à 17h30.  

Jeudi 13 février, La p’tite scène des Halles, 19h. 

Jeudi 20 février, auberge espagnole en présence des écrivains Justine Arnal et Antoine Mouton, CCP (10, place Bourban), 18h30. 

Et d’autres dates à venir, au lycée expérimental, à Aristide-Briand, à la bibliothèque d’Assérac… 

Info + : quelques récits à découvrir sur pourquoiseleverlematin.org