[zoom] Mon gâteau préféré
(Iran 2025) comédie dramatique de Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha avec Lili Farhadpour, Esmaeel Mehrabi, Mansoore Ilkhani.
1h36.

Se cacher, filmer dans des lieux isolés, inventer sans cesse des subterfuges pour déjouer la censure, le lot quotidien des cinéastes iraniens. Quitte à en payer le prix fort. Intimidation, censure, arrestation, emprisonnement, exil : le sort qui leur est systématiquement réservé, du moins pour ceux et celles qui défient le régime.
On pense forcément à Jafar Panahi, jeté dans les geôles inhumaines d’Evin, exilé en France depuis 2023, et à son Taxi Téhéran (2015), tourné entièrement dans un taxi.
On pense forcément à Alireza Khatami, exilé au Canada, revenu à Téhéran en 2022 avec un long-métrage dans les poches. Refusé ! C’est avec son acolyte Ali Asgari qu’il réalise, dans l’urgence et avec ses propres rials, Chroniques de Téhéran (2023), neuf courts-métrages (car les courts ne sont pas soumis à autorisation). Neuf visages filmés en plan fixe et une effroyable odyssée en Asburdie, dans un Iran en prise avec ses incohérences.
On pense forcément à Mohammad Rasoulof qui, condamné (une nouvelle fois) à 8 ans de prison et 50 coups de fouet, a dû fuir son pays, à pied, 28 jours de marche à travers les montagnes avant de rejoindre l’Allemagne, puis Cannes où son dernier film, Les graines du figuier sauvage – un huis clos familial qui vire au thriller paranoïaque –, a reçu le Prix spécial du jury, en 2024.
Et là, on pense à Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, ce couple de réalisateurs interdit de sortie du pays à l’annonce de la sélection berlinoise de leur dernier film, Mon gâteau préféré. Une claque. Un petit miracle du 7e art, une gourmandise à consommer sans modération. Une ode à la vie, drôle, tendre, pleine de pudeur et d’humanité, comme on les aime. On y parle de vieillesse, sans tristesse ; de solitude, avec poésie ; de maladie, avec humour ; d’amour, sans tabou ; du combat et de l’audace des femmes, en première ligne… Risqué. On y boit du vin, à en devenir « pompette » ; on danse, la musique à fond, au risque de réveiller les démons d’à côté ; on rit, on aime, on pleure, on tremble, on vit… Danger. Car toutes ces petites choses, tellement banales, anodines à nos yeux, toutes ces petites bulles de bonheur instantané – si infinitésimales soient-elles et dont on ne mesure pas, de là où nous sommes, la portée symbolique –, sont, tout bonnement, strictement interdites en Iran. Alors, abusons. Abusons de Mon gâteau préféré, dévorons-le, et pas seulement des yeux, jusqu’à en mourir. Et saluons, honorons le jeu de ses acteurs, Esmail Mehrabi et Lily Farhadpour, écrivaine, journaliste et militante des droits des femmes. Un duo d’une puissance émotionnelle indescriptible, renversante, qui porte haut (et fort) ce petit chef-d’œuvre audacieux et courageux. Plus qu’un film, Mon gâteau préféré est un acte de résistance, à l’image de ce cinéma iranien (et pas que) qui tient tête aux mollahs, miroir d’une société privée de sa liberté que ces fanatiques ne sont pas près de briser.