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Cinéma # Ciné Malouine

[zoom] Lire Lolita à Téhéran

(Italie 2025) drame de Eran Riklis avec Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani.
1h47.

Note de la rédaction :

Et si Lire Lolita à Téhéran, et de surcroît sur grand écran, relevait bientôt du pur fantasme ? Des livres, du cinéma, des livres au cinéma… Vade retro, Satana ! Du pain béni pour ces barbus de fanatiques pour qui lire, danser, chanter, voire se donner la main en public est un crime de droit divin. D’ailleurs, qu’ils soient barbus ou sans poils, qu’importe quand le discours suivi des actes se veut le même ! Aujourd’hui, pas besoin de se cacher derrière une pilosité à tendance suprémaciste pour interdire de lire des livres à la “moralité incertaine” ! Le costard-cravate rouge uni façon Trump fait tout aussi bien l’affaire ! La preuve par les chiffres, effrayants, plus de 10 000 prohibés rien que sur l’année 2023/2024. Des livres susceptibles « de promouvoir l’idéologie du genre ou l’idéologie de l’égalité face aux discriminations », selon Washington. Un véritable carnage outre-Atlantique qui passe quasi inaperçu. Depuis quatre ans, et plus encore depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, la chasse aux ouvrages estampillés banned books (livres bannis) ne cesse de s’amplifier. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, de Harper Lee, 1984, de George Orwell, ou encore Le Journal d’Anne Frank, jugé trop “pornographique”, sont désormais strictement interdits dans certaines bibliothèques et écoles publiques d’états trumpistes. Sans oublier Fahrenheit 451, de Ray Bradbury où les pompiers – dans cette Amérique profonde des années 1950 n’éteignent plus les incendies, mais prennent plaisir à brûler les livres et traquer leurs adorateurs ! Et La servante écarlate, de Margaret Atwood qui augure des dérives totalitaires des démocraties. Deux romans d’anticipation, deux fictions dystopiques dont la première a déjà trouvé – sous une forme autre, mais bien plus sournoise –, son ancrage dans la réalité. Quant à la seconde, elle pourrait dangereusement tendre vers, sinon la dépasser, si l’on ne prête pas garde. Le livre, depuis des siècles, cible toute trouvée, est au cœur des enjeux anti-démocratiques, car s’érigeant comme l’un des plus beaux remparts face aux régimes despotiques. Face à ces dictatures qui « s’épanouissent sur le terreau de l’ignorance », comme le faisait si bien remarquer George Orwell ! S’attaquer aux livres d’abord, car « là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes », écrivait Heinrich Heine en 1853. Rien d’étonnant alors que, dans Lire Lolita à Téhéran, on fasse le procès de Gatsby Le Magnifique, de Scott Fitzgerald, comme le signe avant-coureur d’une société qui finira broyée par l’obscurantisme religieux. Rien d’étonnant qu’on se cache encore, 15 ans après la prise du pouvoir par l’Ayatollah Khomeini, pour lire Lolita, de Nabokov, danser sur Orgueil et Préjugés, de Jane Austen ou encore parler d’amour sur Daisy Miller, de Henry James, d’infidélité, de sexualité… Au risque d’être jeté·es, à chacune de ces sorties clandestines, dans les geôles sordides d’Evin, et de ne jamais en ressortir. De ce film puissant et essentiel, ode magistrale à la liberté, pas besoin d’en dire plus… Lire est un combat qui se paie cher, parfois au prix de certaines libertés. Lire est précieux, mais en danger. Cravaté ou enrubanné, le diable n’a pas de style…, ni de frontières ! Alors ne cessons jamais de lire, même au cinéma ! Et partout où il est interdit.