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Cinéma # Salle Jacques-Tati

[zoom] Les crimes du futur

(Etats-Unis 2022) thriller de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kristen Stewart. Durée : 1h47.
Interdit aux moins de 12 ans.

Note de la rédaction :

« Si vous n’avez pas vu Bambi, n’allez pas voir mon film ! » David Cronenberg, alors en pleine promotion de sa dernière œuvre “organe’smique” a le sens de la formule chic et choc. Gaudriole stylée ? Parallèle osé ? Conseil avisé ? Disons plutôt une fascination viscérale pour ce grand classique d’animation des studios Disney qu’il avoue, le «  terrifie ». C’en est presque surréaliste, quand on y pense ; lui, le maître de l’horreur… intérieure, le père créateur de La Mouche effrayé par un faon ! Mais derrière l’apparence inoffensive de ce conte animalier ne se cache-t-il pas le chaos ? Une allégorie de la barbarie ? Le reflet de ce qu’il y a de pire en l’homme ? En ce sens, oui, Bambi (le film, pas le faon !) est cruel… Plus que Les crimes du futur ? Rien de comparable. Dans le nouveau monde de Cronenberg, la douleur n’existe pas, le corps est réalité, la chirurgie devient la seule façon de faire l’amour, les organes s’érigent en œuvres d’art, le plastique devient matière alimentaire, fantastique ou scientifique ! Un monde à l’esthétique visuelle post-apocalyptique réussie, enveloppé d’un voile crépusculaire qui en dit long sur son état… de santé ! Un monde laid, pollué à l’image de ces corps, bousillés, dévastés, ravagés de l’intérieur par les catastrophes écologiques. Des corps en mutation qui doivent s’adapter pour survivre, digérer du plastique recyclé, se créer autrement pour tenter de sauver le peu qu’il reste de cette humanité en perdition ; mais la Brigade des mœurs veille… D’autres corps, comme ceux de Saul Tenser (incarné par le redoutable Viggo Mortensen), artiste performer, s’exhibent, s’exposent à froid sur les scènes avant-gardistes. Devant un public envoûté, quasi en transe, on incise, charcute, dissèque, mutile tumeurs et néo-organes qui se développent presque sur commande… Plus on pénètre dans les entrailles de la création artistico-
organique, plus on taillade la chair, plus le plaisir est grand, plus la beauté intérieure de l’être se sublime. Entre obsession du beau, à la limite de l’érotisme et mutilation organique, conçue telle une chorégraphie chirurgicale joliment opérée, Cronenberg ne touchera pas tous les cœurs, à moins d’avoir l’estomac bien accroché ! Alors la Palme gore à défaut de la Palme d’or ? Même pas. Les crimes du futur n’a rien de gore en soi. Il peut choquer, déranger comme il peut tout aussi bien fasciner, hypnotiser… Tout dépend où se situe le curseur “âme sensible” sur l’échelle de vos émotions ! Du haut de ses 79 ans, Cronenberg, lui, n’a rien à prouver, il persiste et saigne… Mais le fait avec cette finesse d’esprit qui lui est propre. Excentricité, humour, transgression des codes pour explorer la condition humaine. Un regard autre, presque philosophique, une réflexion existentielle incisive sur le rapport au corps, à l’écologie. Une œuvre conceptuelle, d’anticipation aussi envoûtante que terrifiante. Qui imprime durablement la rétine ! A vos bistouris 🙂